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JACQUES CHAILLEY
Avant-Propos
Précis de musicologie. Presses Universitaires de france, Paris 1984
[nouvelle édition entièrement refondue ;  496 p. ; 1ère édition 1958], p. 19-29


Jacques Chailley
biographie

            L'énorme multiplication des livres dans toutes les branches de connaissance est l'un des plus grands fléaux de cet âge! Car elle est l'un des plus sérieux obstacles à l'acquisition de toute connaissance posi tive.

            Edgar POE, Marginalia.

              Cit. et trad. par BAUDELAIRE, dans l'introd. des Nouvelles Hist. extraord., 1879, p. VII.

« Je voudrais faire de la musicologie. Que dois-je lire ?
Mon pauvre ami, n'avez-vous pas lu la phrase ci-dessus d'Edgar Poe ?
Pour vous répondre, il faudrait un livre entier. »

Ce livre, le voici.

    A | QU'EST-CE QUE LA MUSICOLOGIE ?

On abuse beaucoup de ce terme depuis quelque temps. Celui qui écrit un livre pour dire qu'il aime bien Mozart et un autre pour révéler que ce compositeur est né à Salzburg en 1756 se dit musicologue; l'étudiant de 1re année qui vient apprendre le solfège pour décrocher une UV en Université annonce fièrement à ses amis qu'il « fait musicologie ». Cela n'est guère sérieux, car la musicologie est tout autre chose en vérité.

Les Allemands la nomment Musikwissenschaft, « science ou connaissance de la musique ». On peut effectivement la définir comme la « science » qui permet d'aller plus loin que les prédécesseurs dans la « connaissance» de la musique et de son histoire. On voit ici en quoi elle se distingue de l'histoire de la musique, qui est simple connaissance, et de la musicographie qui consiste à écrire sur la musique, sans préjuger du contenu de ce qu'on écrit. Il n'y a musicologie que s'il ya travail neuf et de première main à partir des sources, avec débouché sur un accroissement de connaissances par rapport à ce qui existait auparavant.

En préférant à Musikwissenschaft le terme de « musicologie », les Latins et Anglo- Saxons introduisent une nuance importante, celle de l'intrusion du « logos » en l'affaire. C'est que λόγοσ n'est pas seulement la « parole », sans quoi il pourrait ne s'agir que de bavardages autour de la musique (et Dieu sait s'il s'en consomme !). C'est aussi la « logique » des mises en ordre internes, la « compréhension» des causes et des relations, et c'est en cela que la musicologie n'est pas seulement une recherche intellectuelle, mais aussi une réflexion qui met en jeu, outre la connaissance de la Musikwissenschaft, l'intuition et la sensibilité.

Il y a beaucoup de prose imprimée à propos de musique, et qui, même estimable, ne confère en rien à son auteur le droit de se dire musicologue. On retiendra deus aphorismes dont l'aspect de boutade ne minimise en rien la profondeur. L'un que je reconstitue approximativement est, je crois, du physicien Bouasse : « Chaque fois que j'ai étudié l'histoire d'un problème, j'ai constaté qu'il dégénérait à mesure qu'on s'éloignait de sa source en croyant l'approfondir. » L'autre est de l'orientaliste H. Pernot : « Vérifiez tout, même ce que je vous dis... » J'y ajouterais volontiers celui-ci : « Sachez qu'il est malhonnête de prendre à son compte l'opinion d'un autre sur un sujet que l'on ne connaît pas par soi- même ». Et pour définir la portée de cette proposition, on préciserait qu'il n'est jamais infamant d'exprimer une opinion sincère, même si elle va à contre-courant des idées admises, mais qu'un jugement qui ne s'appuierait pas sur des exemples précis et vérifiables serait de valeur nulle et ne devrait en aucun cas être pris pour autre chose que ce qu'il est, c'est-à-dire une simple opinion.

On devrait aussi, dût-on prendre le contre-pied d'une mode envahissante, insister sur le fait que, si la musicologie veut mériter son nom de « science », elle doit absolument s'interdire les complaisances verbales d'un « trissotinismen • mis à la mode vers les années 65 et qui amusant à petites doses finit vite par devenir exaspérant. L'un des buts de la science est le rendre claires les choses complexes, non d'obscurcir les choses simples.

Boileau appelait un chat « une chat » On doute légitimement qu'il y ait progrès à remplacer le chat (ou la chatte ?) par « un échantillon individualisé d'une félénité physiquement structuré incluant au niveau catégorièl de la spécificité du vécu un connotation (ou con-notation) ambiguë et/ou polyvalente des paramètres de la sexualité , ou quelqiue chose d'approchant. Nous réclamons le droit de dire aux Précieuses Ridicules (ou aux précieux non moins ridicules) de la deuxième moitié du XX e siècle qu'ils doivent être jugés sur le contenu et non sur le contenant de leurs propos, éventuellement traduits en français compréhensible, et que tel qu'il se donne comme voulant atteindre Einstein n'est peut-être l'émule que de Mascarille. Puisque de Précis veut être veut être un manuel de bibliographie, ce n'est pas tout à fait par plaisanterie que nous placerion et tête de lectures utiles au futur musicologue — comme à beaucoup d'autres — le spirituel et très instructif pamphlet de Robert de Beauvais intitulé L'hexagonal tel qu'on le parle (Paris, Hachette, 1970). Il éclairera d'un jour cruel, et trop souvent véridique, bien des ouvrages qui se disent musicologues.

    B | COMMENT ON DEVIENT MUSICOLOGUE

Au reste, on ne fait pas de la musicologie. On acquiert peu à peu, par curiosité et par l'expérience, la mentalité qui fera de vous un musicologue.

On peut être musicologue de bien des façons. A la limite, on pourrait presque prétendre qu'il n'est pas indispensable de « savoir la musique ». L'historien qui s'attache à reconstituer l'existence d'un artiste, le sociologue qui étudie la condition de vie des musiciens dans un cadre donné, le philologue qui relève les mentions d'instruments de musique dans une tranche littéraire définie, le bibliothécaire qui établit le catalogue d'une collection de musique, tous ceux-là font tâche utile pour la musicologie. Et pourtant ils peuvent mener leur travail à bien sans avoir jamais lu ou entendu un note de musique. C'est là, si on peut dire, la « musicologie externe ». Le danger est de procurer parfois à ceux qui s'y sont adonnés l'illusion trompeuse que ce travailles qualifie également pour intervenir aussi dans la musicologie « interne », car, pour celle-ci, la qualification requise est d'une tout autre nature. Elle n'est ouverte qu'aux musiciens « à part entière », et exige d'eux, outre les connaissances générales ci-dessus, la connaissance approfondie des partitions, la maîtrise des techniques d'analyse musicale, une formation solfégique et harmonique poussée, bref tout ce qui s'enseigne au premier chef dans les conservatoires, mais qui ne constitue encore qu'une partie très insuffisante de la formation spécifique nécessaire.

Un musicien moyen peut à peu de frais cervicaux copier une partition inédite, la publier et se déclarer musicologue : l'illusion s'écroulera s'il se trouve à un moment donné face à l'un des innombrables pièges que recèle cette opération, sans avoir acquis les connaissances nécessaires pour y échapper.

D'où l'on conclut que le musicologue complet serait celui qui serait capable de parler, à égalité de niveau, musique avec ses confrères musiciens, méthodologie et connaissances générales avec ses collègues universitaires.

Car, disait André Pirro, pour faire de l'histoire de la musique, il faut connaître non seulement l'histoire et la musique, mais encore la philologie, la philosophie, l'archéologie, l'astronomie, la physique, l'anatomie, les mathématiques, etc., sans oublier cinq ou six langues vivantes et autant de langues mortes... Comme les débouchés restent malgré tout assez aléatoires, on ne saurait s'étonner du petit nombre des vrais musicologues.

La meilleure manière de devenir musicologue est au départ d'aimer profondément la musique. A force d'en écouter, d'en lire, d'en jouer, on s'aperçoit peu à peu que la musique est un art complexe, en évolution constante dans son esprit comme dans sa lettre, et que la sensibilité, pour nécessaire qu'elle soit, ne saurait suffire à en éclairer tous les aspects. On croit quelque temps que les professeurs d'harmonie vous ont enseigné les lois de la musique, puis on découvre que leur enseignement ne concerne qu'une toute petite partie de son histoire, si bien que tout ce qu'on vous a appris dans l'absolu n'est plus vrai que dans le relatif. On aborde ainsi, progressivement, un nouveau chapitre, celui de l'analyse historique - discipline encore en pleine élaboration.

Peu à peu au cours de cette évolution, on a quitté la cohorte papillotante des gens « très musiciens » pour entrer dans l'aristocratie des « musiciens » tout court. Que la curiosité d'esprit demeure en constant éveil, que le désir permanent subsiste, à propos de chaque texte, de mieux connaître, pour mieux comprendre, tout ce qui en éclaire la signification, soit dans l'ordre anecdotique (biographie, etc.), soit dans l'ordre explicatif (contextes formels et spirituels, analyse interne des œuvres et du langage, etc.), soit dans l'ordre spéculatif (signification sociale et morale de l'œuvre dans son contexte historique) ; que l'on s'aper- çoive des contresens qu'entraîne quotidiennement, en musique, l'application rétroactive de critères inconnus de l'époque en cause et devenus à la mode dans la nôtre - ce péché majeur de notre époque que l'on pourrait appeler la rétropolation; que l'on découvre la nécessité de se faire, pour chaque tranche d'histoire, l'oreille et la mentalité du temps ; que des points d'interrogation individuels commencent à se poser, et que l'on ait un jour, à travers des lectures multipliées, la révélation que tout n'a pas été dit, et que dans ce qui a été dit bien des hiatus ou des contradictions laissent encore place à des recherches personnelles, et l'on est prêt alors — mais alors seulement — à devenir musicologue.

C'est à ce stade que le présent manuel peut, pensons-nous, rendre service aux étudiants. A d'autres aussi d'ailleurs. Un étudiant ne se définit ni par l'âge ni par l'acquisition d'une carte d'inscription.

    C | QUE LIRE ET COMMENT LIRE ?

On n'a jamais tant écrit que de nos jours sur l'histoire de la musique, et, si le pourcentage utile n'est guère encourageant, il n'en reste pas moins qu'il est devenu matériellement impossible à un seul être humain d'avoir tout lu (calculez le nombre d'heures représenté et comparez avec la durée d'une vie humaine). Aussi la plupart des musicologues sont-ils aujourd'hui des spécialistes, ce qui n'offre pas que des avantages. Chacun des chapitres qui suivent (et leur liste n'est pas exhaustive) représente un aspect défini de la musicologie exigeant déjà à lui seul des connaissances particulières, variables d'un chapitre à l'autre.

Prenons par exemple l'histoire de la musique médiévale : il serait illusoire d'en aborder l'étude approfondie sans connaître au préalable le latin, la philologie romane, la liturgie séculière et monastique, la paléographie littéraire et musicale (neumatique ou proportionnelle selon les cas), l'histoire générale et ecclésiastique de l'époque étudiée, etc. En cours d'étude, on s'apercevra que tels textes théoriques exigent des recours perpétuels à la patristique, à la symbolique, à l'astronomie, à l'acoustique pythagoricienne, à l'histoire des consonances, à la littérature ou à l'architecture : autant de notions qui n'ont pu être abordées ici et pour lesquelles il faudra recourir aux ouvrages spécialisés : l'étudiant consultera avec profit les manuels de la collection « Nouvelle Clio » (presses Universitaires de France), relatifs à la période qu'il a choisie.

En outre, nul ne peut plus aujourd'hui aborder une étude approfondie quelconque, si, faute de langues étrangères, il doit se borner aux livres de sa langue maternelle. On ne peut espérer travailler utilement dans ce domaine si l'on n'est pas capable de se débrouiller au minimum dans la lecture de trois ou quatre langues, dont obligatoirement l'anglais et l'allemand, plus le latin si l'on aborde les périodes anciennes. On entend par « se débrouiller » le fait non point de posséder un maniement impeccable de la langue, mais d'être au moins capable de saisir le sens global de ce qu'on lit et de connaître quelques principes linguistiques qui vous permettront éventuellement, en vous y arrêtant le temps nécessaire, d'approfondir la compréhension exacte des passages utiles.

Ainsi préparé, l'étudiant en musicologie devra d'abord acquérir des notions générales sur l'ensemble de l'histoire musicale, avant de se spécialiser dans la recherche sur un secteur déterminé. Il existe un nombre considérable de manuels intitulés Histoire de la musique. Presque tous sont de seconde main et ne peuvent servir que pour une prise de contact provisoire, révisable. Il en existe des douzaines, à peu près interchangeables. A ce stade élémentaire, on pourra, pour la période classique (de Bach à Debussy à peu près), se contenter des manuels usuels. Jusqu'à une période récente, il n'en existait guère auxquels on pût se fier en deçà ou au-delà. La situation est aujourd'hui meilleure, et le chapitre 1 donnera les indications utiles. Signalons que le Cours d' histoire de la musique que nous publions aux Editions Leduc avec des collaborations diverses (trois volumes sur quatre parus en 1983, le quatrième en préparation), outre qu'il correspond - on l'espère du moins - au niveau ici défini, a la particularité de voir son texte illustré de très nombreux exemples, développés et commentés en liaison avec lui.

Reste un dernier point, le plus important peut-être. Que lire ne suffit pas. Comment lire ? en conditionne l'utilité.
Les méthodes diffèrent selon les individus, le but et le niveau de l'étude. Nous ne prétendons pas ici donner des directives immuables, mais seulement quelques conseils pratiques justifiés par l'expérience. A chacun de les adapter selon sa personnalité.

    1. Annotations sur livre

Soulignez les phrases ou les mots formant titre ou résumé, de telle sorte qu'en reliant les mots soulignés sans tenir compte du reste vous ayez une idée du contenu du paragraphe. Mais faites-le avec parcimonie : un excès de soulignements n'est pas seulement sale, il est inutile.

Exemple (Lasserre, Plutarque, p. 26-27) :

Si donc la notice qui situe l'activité de Terpandre et la composition de ses nomes aux alentours de 670 mérite quelque crédit, on a le droit et presque l'obligation d'en inférer qu'à cette époque les nomes nationaux, etc. La légende lui accorde en effet le mérite de deux innovations importantes propres à illustrer la supériorité de la lyre sur la flûte: la composition des nomes citharodiques et l'adjonction de trois cordes à la lyre.

Si vos soulignements sont judicieux, vous pouvez reconstituer les idées en vous bornant à la lecture des fragments soulignés : « Terpandre / alentours de 670 / deux innovations / lyre / nomes citharodiques / adjonction de 3 cordes. » Ce qui se traduit sans peine: « Terpandre, aux alentours de 670, pratique deux innovations relatives à la lyre: les nomes citharodiques et l'adjonction de trois cordes. »
Ce procédé sera d'autant plus efficace que le faible pourcentage de soulignements laissera plus d'aération entre eux. Si un passage un peu long est trop dense, si tous les mots y ont une égale valeur, ne soulignez plus le texte : un trait vertical en marge. Si les idées se suivent sans apparaître typographiquement dans un texte mal aéré, titrez en marge : cela vous facilitera un recours ultérieur. Enfin, si un passage vous paraît assez important pour que vous puissiez avoir plus tard à le rechercher, faites-vous une petite table annexe personnelle sur la dernière page du livre (généralement blanche), et rédigez une fiche de renvoi (cf. § 3).

    2. Notes sur cahier ou sur feuilles

a / Au début de toute rédaction, n'oubliez pas de reproduire le titre et la référence. Celle-ci doit être assez complète pour qu'un lecteur de vos notes dénué de tout souvenir (ce peut être plus tard, vous-même) y trouve tout ce dont il a besoin.
Un titre s'indique selon, une typographie normalisée qu'il faut connaître : Nom (Prénom), Titre exact et complet (souligné), lieu d'édition, éditeur, date, page. Pour les articles de revues, les dernières indications sont remplacées par le nom de la revue, le numéro de l'année (chiffres romains), éventuellement le fascicule, enfin le millésime, entre parenthèses. Exemple : XIX/4 (1930), ce qui signifie 19 e année, 4 e fascicule, 1930. En outre, il est devenu d'usage de ne plus souligner le titre de l'article, mais seulement le nom de la revue, parce que c'est celle-ci que vous aurez éventuellement à rechercher dans une bibliothèque. On conseille en ce cas de placer entre guillemets le titre de l'article s'il fait suite à un texte de rédaction de manière ambiguë. Les bibliographies professionnelles ajoutent encore d'autres indications (format, pagination, etc.) ; vous pouvez les négliger pour l'usage courant, mais non si elles sont exigées par le caractère de votre travail (par exemple pour une thèse).

b / Dans vos notes, évitez les phrases, à moins de citations textuelles entre guillemets. Des notes bien prises n'ont jamais l'aspect d'un pavé. Elles s'étagent, souvent en style télégraphique, selon une disposition aérée et hiérarchisée. Marquez vos paragraphes, dans vos notes, à l'inverse de la rédaction, en commençant plus à gauche que le texte, de façon à obtenir un étagement qui facilitera la consultation ultérieure (voir ci- dessous) :

       c / Usez d'abréviations expressives, telles que : = (être et ses équivalents),   (ne pas être), > (donner naissance à), < (provenir de), ou traditionnelles ( pour même, clef de sol pour musique, etc).
       d / Si vous prenez vos notes d'après un livre ou un article, prenez soin d'indiquer en marge, au fur et à mesure de votre lecture, le numéro de page correspondant: cette précaution vous facilitera toute référence ultérieure.

    3. Notes sur fiches

C'est le troisième stade, indispensable à partir du moment où l'on aborde la recherche personnelle.

Les fiches se conçoivent différemment selon qu'il s'agit d'une documentation provisoire à but limité, que l'on détruira après utilisation (préparation d'un article ou d'un ouvrage défini) ou permanente (en vue de conservation et de consultation éventuelle à tout moment).

a / Fiches provisoires. — On peut ici rechercher l'économie en utilisant des feuilles de papier normal (ou même des versos de récupération) de préférence découpés en 2 ou en 4. Chaque idée, même si elle paraît évidente ou insignifiante, chaque référence, sera notée immédiatement sur une fiche de ce genre (jamais deux idées sur la même fiche), puis les fiches seront mises dans une boîte où on les laissera « décanter ». Périodiquement, on les reprendra et on s'apercevra que beaucoup sont inutiles ou inconsistantes : on « nettoiera » alors en détruisant le déchet. L'utilité de ce travail n'est pas seulement matérielle ; il prépare l'esprit et évite bien des mécomptes. Quand le nombre de fiches paraîtra suffisant, on les reprendra en les classant par affinités dans des enveloppes portant obligatoirement un titre. On ne craindra pas. de revoir et de modifier souvent ce classement, jusqu'à ce que les titres des enveloppes correspondent à peu près aux grandes divisions logiques du travail envisagé. Celui-ci sera alors bien près de sa rédaction définitive.
Ces fiches doivent être sommaires, mais explicites. Pensez toujours, en les rédigeant, que vous aurez à les utiliser dans un ordre différent en ayant oublié les circonstances où vous les aurez faites, et que ce qui vous semble aujourd'hui évident vous posera d'inextricables points d'interrogation. Une abréviation excessive, un griffonnage illisible, un détail de référence oublié peuvent rendre la fiche inutilisable et vous amener à regretter amèrement les quelques secondes économisées.

b / Fiches permanentes. —   Ici, la méthode est tout autre. On ne travaillera plus sur des bouts de papier, mais sur des fiches cartonnées, dont le format a été standardisé (12,5 x 7,5 cm, utilisées en largeur), et qui seront écrites avec soin. Chaque fiche devra porter un titre ou vedette permettant son classement alphabétique. Le fichier type comprend deux séries qui se complètent: fichier-auteurs et fichier- matières. Le premier est standardisé et quasi automatique ; la confection du second, plus difficile, exige beaucoup de perspicacité et un véritable entraînement.
   Fichier-auteurs. — C'est exclusivement un fichier de références. A partir du nom de l'auteur d'un livre ou d'un article, pris pour vedette, il doit donner la référence exacte et complète de chaque source, telle qu'elle doit être citée selon les normes déjà indiquées. Tout article ou tout livre susceptible d'être consulté ou cité doit avoir sa fiche-auteurs, surtout s'il ne peut venir immédiatement sous la main au moindre désir (c'est le cas notamment de ceux non possédés personnellement, ou susceptibles de plusieurs classements, et surtout des articles de revues classés avec la revue et non, après découpage, selon leur objet propre).
   Fichier-matières. — La principale difficulté réside dans le choix de la vedette. La question à se poser est toujours la suivante : « Quand j'aurai besoin de retrouver ce renseignement, à quel mot songerai-je pour le rechercher ? » Evitez les mots généraux: « musique, folklore, polyphonie », etc., à moins qu'ils n'aient une raison d'être particulière, et en ce cas complétez-les toujours par une « sous-vedette » qu'il soit également possible de classer, soit alphabétiquement, soit logiquement à la suite de la vedette.

Si plusieurs mots se présentent à l'esprit, ne craignez pas de multiplier les fiches de renvois. Soit par exemple une note sur l'évolution du leitmotiv chez Wagner : il faudra une fiche Leitmotiv, sous-vedette Wagner, et une fiche Wagner, sous-vedette Leitmotiv, avec renvoi à la fiche Leitmotiv. La fiche-matières peut se borner à indiquer une référence. C'est le cas habituel des fichiers de bibliothèques, que l'on consultera pour modèle. Mais la véritable fiche de travail doit être analytique, c'est-à-dire qu'elle doit donner un résumé de l'idée exprimée. Elle comporte normalement trois parties :

— la vedette, en titre (de préférence en capitales), suivie éventuellement d'une sous vedette; — l'analyse, sommaire mais explicite, du contenu de l'article ou du passage illustrant l'idée annoncée par la vedette;
— la référence. Celle-ci sera complète s'il n'y a pas de fiche-auteur du même ouvrage. S'il y a une fiche-auteur, on pourra abréger en renvoyant à celle-ci, mais on devra noter au minimum le nom de l'auteur, les premiers mot du titre exact suivis de points (permettant le recours à la fiche-auteur) et, s'il y a lieu, la page du renseignement. On notera que les noms d'auteurs deviennent vedette matière lorsqu'il ne s'agit pas de référence à leurs écrits, mais d'idées les concernant.

    4. Classement des articles

Vous recevez ou vous achetez des journaux ou des revues de musique. Votre premier soin doit être, quand vous avez lu un article, de vous demander s'il peut vous servir par la suite. N'oubliez pas que tel sujet qui vous indiffère aujourd'hui pourra vous intéresser demain. Ne conservez pas tout : la masse de papier imprimé inutile est effarante. Mais, si vous trouvez un article de valeur, deux méthodes principales s'offrent à vous :

   a / Vous conservez la revue intégralement, et vous la classez d'après sa date. Mais en ce cas, n'oubliez pas que vous ne retrouverez presque jamais l'article qui vous a intéressé si vous ne le matérialisez pas par une fiche, ou mieux par deux fiches: une « auteurs » et une « matières »
   b / Vous ne tenez pas à conserver la revue. En ce cas, découpez l'article et rangez-le dans un dossier étiqueté correspondant à l'époque en cause ou à la matière traitée. Mais attention : ne négligez pas de noter, sur l'article découpé, la référence complète de la revue ; l'oublier vous exposerait plus tard à des mécomptes.
   Il peut arriver que deux articles intéressants se fassent suite de telle sorte que vous deviez sacrifier l'un d'eux. En ce cas, n'oubliez pas de noter sur ce dernier à quel endroit vous pourrez retrouver la partie manquante si vous avez un jour à la chercher.
   Cette seconde méthode est souvent la plus rapide. En outre, elle facilite beaucoup le travail ultérieur. Par contre, elle enlève toute valeur à des revues, qui, une fois épuisées, peuvent atteindre un certain prix.

    D | COMMENT RÉDIGER RÈGLES DE PRÉSENTATION

Les normes de dactylographie d'un manuscrit de type courant sont parfois assez compliquées pour avoir justifié la publication de véritables manuels. L'un des plus autorisés est Le tapuscrit (recommandations pour la présentation et la dactylographie des travaux scientifiques en sciences humaines), par M. L. Dufour, édité en 1971 par l'Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales, 131, boulevard Saint-Michel, 75005 Paris.
   Si votre manuscrit doit être reproduit tel quel par un procédé mécanique, offset ou autre, ce qui est le cas notamment pour les thèses confiées à l'Atelier national de reproduction des thèses de Lille, il existe des normes impératives de présentation matérielle sans lesquelles un manuscrit connaîtrait de graves difficultés et en certains cas (Lille) un rejet automatique. On trouvera en appendice le contenu de la circulaire rédigée à cet effet par cet organisme.
   En ce qui concerne la rédaction proprement dite, il faut savoir qu'un travail universitaire obéit à des normes précises qui ne sont pas obligatoirement arbitraires. Même hors de ce cadre, l'étudiant aura intérêt à s'y plier s'il y a lieu, à s'en inspirer dans tous les cas. Nous donnons ci-après des extraits des instructions rédigées en 1972 et qui, à notre connaissance, n'ont pas été depuis lors abrogées.

   Un mémoire (ou une thèse) suppose un travail personnel de présentation, de documentation, de vérification, de rédaction. On n'acceptera pas de travail présenté sous forme de synopsis. Chaque fait avancé doit être objectivement prouvé, références à l'appui; une opinion personnelle subjective ne peut en aucun cas former une matière de fond.
   Un mémoire (ou une thèse) s'ouvre normalement par une page de titre où figurent le nom de l'étudiant, le titre, le nom du directeur de recherches, la nature du travail présenté (maîtrise, catégorie de doctorat...), le nom de l'Université et l'année de soutenance.

    Il comprend normalement six parties :

    1 / Avant-propos (2 à 3 pages). — Exposer la raison et les buts de la recherche entreprise, la méthode de travail suivie, remercier ceux qui vous ont aidé.

   2 / Corps de l'ouvrage. — En moyenne 100 pages pour une maîtrise d'Education musicale (en un an), 100-150 pages pour une maîtrise de Musicologie (en deux ans), 200 pour une thèse d'Université ou de 3e cycle, 500 à 1 000 pages pour une thèse d'Etat.
       Diviser clairement l'exposé en livres, parties, chapitres, sous-chapitres. Aérer la présentation (pas de paragraphes trop longs sans alinéa). Souligner éventuellement les mots ou phrases clefs. Eviter la paraphrase, les familiarités d'expression, le pathos prétentieux «< hexagonal»), les polémiques. subjectives (les discussions doivent porter sur des faits contrôlables, non sur de simples opinions).
       Les citations en langues étrangères doivent en principe être faites dans le texte original et traduites en note. Toutefois, lorsque le procédé entraînerait une longueur excessive, on pourra reporter les textes originaux en appendice et citer seulement dans le corps du texte les fragments utiles traduits en français. Le texte original peut rester non traduit s'il ne figure qu'à titre de référence, mais doit être traduit lorsqu'il s'insère dans le développement des idées ; une citation traduite doit toujours pouvoir être confrontée avec son texte original.
       Il est également recommandé d'accompagner systématiquement les termes techniques de théorie musicale sortis de l'usage, de leur translittération en théorie moderne usuelle. Ainsi dans Rameau, l'expression « dominante-tonique » sera régulièrement suivie entre parenthèses de sa traduction (= 7 e de dominante, ou en abrégé ).
      On doit souligner les expressions ou citations en langues étrangères, ainsi que des noms de notes de musique (ex. sol dièse).
       Aucun emprunt ne doit être fait à des publications antérieures sans être mentionné et cela en des termes qui en fassent connaître exactement l'étendue. Toute suppression, même d'un mot, faite dans le corps d'une citation, doit être signalée par des points. Tout mot ou membre de phrase ajouté à titre de commentaire doit être entre crochets: [...].

    Références. — Un travail universitaire se doit d'être particulièrement scrupuleux sur ce point. Toute opinion qui n'est pas du domaine courant, tout fait ou document qui n'est pas cité pour la première fois doit être accompagné d'une note mentionnant sa source. Les citations doivent être textuelles ; si elles sont abrégées, les passages sautés doivent être remplacés par trois points entre parenthèses (...). Elles seront entre guillemets, et les guillemets, si la citation est longue, seront répétés au début de chaque ligne. Les notes indiquent l'ouvrage (intégralement ou en abrégé) et obligatoirement la page ou les pages (p., pluriel: pp.) utilisées. La référence intégrale est rédigée selon une norme précise (celle déjà exposée p. 24).

      Quant à la référence abrégée, elle n'est admise que dans la mesure où on peut facilement en retrouver l'énoncé complet. Les mentions op. cit. ou ibid. ne peuvent renvoyer qu'à la note qui précède immédiatement, et on n'abrégera jamais un titre en renvoyant à une note perdue dans les pages précédentes sans en préciser l'emplacement. Les références figurent en bas de page, et toujours sur la même page que le texte
      Hors du cas signalé p. 24, les titres d'ouvrages ne doivent être mis entre guillemets que si l'on veut attirer l'attention sur les termes mêmes dans lesquels ils sont conçus. Ils seront toujours soulignés. Il n'est pas nécessaire de souligner les noms d'auteurs; mais si on veut le faire pour plus de netteté, ils doivent être soulignés de deux petits traits (petite capitales).
       Pour les ouvrages qui ne sont pas d'usage courant, il convient de donner les cotes des grandes bibliothèques où on les aura consultés, en particulier les cotes de la Bibliothèque nationale.

   3 / Conclusion (2 à 5 pages). — Le plus grand soin doit être apporté au chapitre terminal qui doit être une synthèse prenant la suite de l'introduction: celle-ci énonçait le but des recherches, la conclusion doit en résumer les résultats. Elle doit être nette et précise et se suffire à elle-même.

    4 / Bibliographie. — Très importante. Elle peut être ou non subdivisée en groupes (seulement quand elle est très abondante et que la division s'impose). Classement alphabétique des auteurs, et pour un même auteur classement chronologique des ouvrages. Typographie normalisée (voir ci-dessus); ajouter éventuellement l'abréviation conventionnelle adoptée dans les notes.
       L'Institut (aujourd'hui UER) de Musicologie de Paris IV impose désormais impérativement une bibliographie commentée et refusera à partir de 1972 tout travail qui ne répondra pas à cette exigence. Chaque titre doit être suivi d'un bref commentaire, allant de quelques mots à quelques lignes, indiquant son importance par rapport au travail, son degré d'autorité et, de façon précise, en quoi il concerne le travail présenté. La citation d'un ouvrage est sans valeur si on ne précise pas les chapitres ou, pour les dictionnaires, les articles. Certains sujets peuvent comporter l'adjonction à la bibliographie d'une discographie également commentée.

5 / Index. — Ne sont obligatoires que pour les thèses imprimées, mais peuvent être appréciés si la matière s'y prête.

6 / Table des matières. — Obligatoire. Elle doit répéter tous les titres, y compris ceux des sous-chapitres, avec renvoi aux pages. S'il y a des illustrations, des exemples musicaux, etc., ils motivent également une table. On rappelle que les illustrations doivent comporter une légende explicative.

Si tatillonnes qu'elles puissent paraître, ces prescriptions ne sont pas toujours de pure convention. Outre un souci de normalisation dans les usages de détail, elles traduisent deux principes fondamentaux :

— l'un est une règle d'honnêteté intellectuelle consistant à ne rien avancer qui ne puisse être vérifié, en fournissant les moyens de procéder à cette vérification;

— la seconde est une règle d'honnêteté morale, à savoir que non seulement toute décou- verte ou tout résultat de recherches quelconques, mais même toute idée non considérée comme du domaine public et qui à la connaissance de l'auteur n'est pas exprimée pour la première fois doit être accompagnée, dans son expression, de la mention de quiconque l'a exprimée auparavant.

Ces deux règles sont essentielles à la dignité de la musicologie comme de toute autre science. Il n'était pas inutile de les rappeler en tête d'un Précis de musicologie.

Jacques CHAILLEY

références / musicologie.org