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Alain Kohler

Les pianos Pleyel chez Chopin pendant sa relation avec George Sand

I. Méthodologie et caractéristiques générales

La recherche des pianos prend appui sur deux axes principaux : l'analyse du contexte dans lequel ont baigné Frédéric Chopin, George Sand, Camille Pleyel et leurs proches et la consultation des archives Pleyel concernant les livres des ventes et les registres de fabrication.

Il faut d'abord tenir compte de faits objectifs qui sont les dates d'arrivée de Chopin et Sand à Paris et à Nohant. Cela donnera des fourchettes temporelles exploitables pour la recherche des candidats pianos dans les archives.

Une recherche biographique avec en particulier la lecture des correspondances de Chopin et Sand doit aider ensuite à dégager des habitudes liées à l'utilisation des pianos. Une analyse a posteriori de l'histoire des pianos trouvés avec certitude permettra de confirmer ou non ces habitudes.

A. Les dates de déplacement comme faits objectifs

La vie du couple Chopin-Sand est réglée de 1839 à 1846 invariablement par des séjours à Nohant en été et par la vie mondaine à Paris en hiver (sauf en 1840 où le couple reste toute l'année dans la capitale). Les correspondances de Chopin et de Sand nous donnent presque toujours la date de leur déplacement à un jour près.

Il y a bien sûr une petite différence avec la date d'acheminement du ou des pianos, ceux-ci n'étant pas du voyage avec le couple. Mais les incertitudes ne dépassent pas trois ou quatre jours.

C'est le critère le plus important et il sera systématiquement utilisé comme outil de recherche dans les archives.

B.  La collaboration avec Pleyel

Pleyel avait conclu une forme de partenariat avec Chopin : pas de vente ni de location, mais une mise à disposition de ses pianos pour l'artiste. C'était aussi valable pour les pianos à Nohant4. En contrepartie, les élèves aristocrates de Chopin achetaient souvent des pianos Pleyel.

Dans cette optique, on peut comprendre que Chopin héritait souvent de pianos neufs, c'est ce que nous montre déjà l'analyse des pianos étant connus5 pour avoir été joués par le maître.

Les pianos de Chopin étaient donc souvent renouvelés, marketing oblige6 Chopin devait bénéficier d'un (ou deux) nouveau(x) piano(s) quand il rentrait de Nohant à Paris7 pour au moins deux raisons. D'une part, les pianos venant de Nohant étaient passablement secoués et leur mécanique soumise à rude épreuve. Mais surtout une nouvelle séance de cours commençait chaque automne et Pleyel avait à cœur à montrer, notamment par Chopin, les nouveaux modèles de pianos à l'aristocratie parisienne.

Pour des raisons d'une part d'esthétisme musical (Chopin préférait les concerts intimes) et de problèmes liés au transport dans le Berry, il semble exclu que Chopin utilisa des pianos de concert dans ses appartements et qu'à Nohant les pianos à queue « petit patron » étaient la règle8.

Ces hypothèses, qu'on rencontre souvent dans la littérature, ne peuvent être utilisées dans un premier temps que comme guides. Seule une synthèse des pianos trouvés avec certitude par élimination des autres permettra de les confirmer a posteriori et, si besoin, de les appliquer pour d'autres pianos plus difficilement identifiables : cette technique a notamment été utilisée pour la période entre l'été 1841 et le printemps 1843. 

B.   Synthèse sur les pianos trouvés

Premier tableau : les indications « Chopin » dans les registres de vente

Dans le livre des ventes de juillet 1839 à juin 1843, la mise à disposition des pianos Pleyel à des pianistes réputés comme Prudent, Martin, Goria, etc… n'était pas indiquée. Ces noms apparaissent dès juillet 1843. Les pianos à Chopin en hiver à Paris figurent sur un seul registre et sur deux registres lorsqu'ils sont en été à Nohant si bien que dans ce dernier cas on peut relever parfois deux inscriptions « Chopin ».

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Les pianos à queue sont notés par PP pour « petit patron » et par GP pour « grand patron »

Le mot au crayon « Chopin » peut apparaître :

On insiste ici : la méthodologie ne consiste pas à chercher les inscriptions pour valider le piano mais bien à sélectionner d'abord tous les pianos répondant au critère objectif des dates, d'affiner la sélection par d'autres critères et, in fine, s'il le faut vraiment, décider sur le critère de l'inscription9.

Chose remarquable : tous les pianos entre l'été 1843 et l'été 1846 ayant passé ces critères se trouvent avoir justement une inscription « Chopin ». Elle est parfois si faible qu'il aurait été difficile de la trouver autrement !

2e tableau : les pianos en regard des dates de fabrication et de mise en vente ou de location

Le tableau indique les numéros de série des pianos, le prix de vente initial, la date quand le piano est terminé en usine, la période de Chopin dans son appartement à Paris ou Nohant, la date de vente ou de location avec le prix.

Il est apparu dans cette recherche une période qui a posé plus de difficultés pour dégager avec certitude les pianos joués par Chopin : il s'agit de la fenêtre temporelle de l'été 1841 au printemps 1843 couvrant ainsi deux séjours à Nohant et deux séjours parisiens.

Pour avoir plus de critères de sélection pour ces pianos-là, il faut dégager les points communs qui apparaissent avec les autres périodes.

En examinant le tableau lors des années 1839 à 1841 et 1843 à 1847, trois hypothèses énoncées auparavant sont confirmées :

Par seulement deux fois, avec le no 7267 et le no 10039, il utilise un modèle intermédiaire, le GPB, qui correspond à un ¾ de queue actuel. Ces deux pianos se retrouvent par la suite chez des proches de Chopin, pour l'un chez Mme d'Obreskoff, une grande admiratrice, et pour l'autre dans les salons d'Auguste Léo, banquier et ami du maître. Un seul piano GPB, le no 10039, est amené à Nohant mais il était déjà à disposition de Chopin à Paris et non pas expressément choisi pour le déplacement en Berry.

Nous obtenons aussi les informations complémentaires importantes suivantes :

Ces critères complémentaires aux dates vont alors permettre de sélectionner avec plus de finesse les pianos de la période allant de l'été 1841 au printemps 1843. Ainsi trois pianos sont découverts de manière certaine : ce sont les deux pianos à queue qui se succèdent à Nohant en 1841 et le piano carré au square d'Orléans pendant l'hiver 1842-43. Toutefois trois autres pianos présentent encore quelques petits doutes (ils sont alors notés en italique) : les pianos à queue à Paris en 1841-42, à Nohant l'été 1842 et de nouveau à Paris en 1842-43. 

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Les 22 numéros de série des pianos aux domiciles de Chopin entre 1839 et 1847

Le choix de la boiserie des pianos a même été étudié pour savoir si Chopin avait une préférence marquée pour un type de placage ! Il ressort sept pianos en acajou chenillé, cinq en acajou flammé, trois en acajou moiré, trois en palissandre (dont les deux pianos grand patron), deux en acajou moucheté, un en acajou pommelé et un en acajou ronceux. Difficile ici de tirer une règle, mise à part qu'il ne choisit pas l'acajou ordinaire et peu l'acajou ronceux. De plus, il y avait parfois des confusions sur les dénominations entre le registre des ventes et le registre de fabrication.

Conclusion

En reconstituant petit à petit le puzzle des pianos dans les appartements de Chopin à Paris et à Nohant, il est possible de dégager des points de convergence. Certes, tous les pianos n'ont pas le même statut : les pianinos de Nohant versus ceux à Paris ou encore le piano grand patron de l'automne 1843 avec une mise à disposition exceptionnelle d'un an. Toutefois les résultats obtenus évitent de remettre en question des hypothèses de travail, par exemple celle qui dit que Chopin ne louait pas ses pianos ou qu'il en disposait pendant très longtemps.

Surtout il y a confirmation de la méthode a posteriori : les critères de sélection amènent aux bons pianos !

Dans cette période de juin 1839 à juin 1847, Chopin a utilisé 22 pianos Pleyel différents à son domicile à Paris et à Nohant. Sont comptés les deuxièmes pianos au square d'Orléans et à Nohant mais pas les pianos aux domiciles de Sand. A Nohant, il a joué sur huit pianos à queue et deux pianinos. A Paris, ses élèves ont passé les mains sur huit pianos à queue et il les a accompagnés sur six seconds pianos. Deux pianos de Paris sont amenés à Nohant. Pour les pianos à queue, on compte quinze « petit patron » contre seulement deux « grand patron ».

Sur ces 22 pianos, 18 sont trouvés avec certitude. Il y a un léger doute pour 4 pianos. En se référant à la littérature actuelle, on peut dire que :

Les relations professionnelles entre Chopin et Pleyel sont mal connues : comment les pianos étaient choisis, selon quels critères, etc… Toutefois, en parcourant les archives Pleyel et en essayant de les contextualiser, on arrive à dégager des habitudes chez Chopin qui finalement s'apparentent au bon sens : le maître changeait ses pianos régulièrement pour mieux vendre la marque Pleyel et avait soin, chaque fois qu'il le pouvait, d'assister minutieusement aux derniers réglages des pianos que Camille lui mettait à disposition. Une fois remis au magasin, les pianos étaient en toute logique rapidement vendus ou loués à des connaissances parisiennes de Pleyel.

 

Notes

4. Un billet de Mr Herbault, un collaborateur de Pleyel et un ami de Chopin, dans une lettre le 21 décembre 1844 au compositeur, « déclare ne vouloir rien accepter pour le piano qui a été dans le Berry et pour la location duquel Chopin voulait payer ». Karlowicz, p. 167.

5. Un mois pour le départ d'usine du piano no 6668, destination Majorque, deux semaines pour le piano célèbre no 7267, trois mois pour le no 11527 allant à Nohant l'été 1845, immédiatement pour le no 12480 en décembre 1846, trois mois et demi au plus pour le no 13819 à destination de l'Angleterre et trois semaines pour le dernier piano no 14810. Et pour quatre pianos qu'on soupçonne d'avoir été utilisés par le maître : quatre mois pour le no 10039, deux mois pour le no 10113, immédiatement pour le no 11265 et maximum deux mois pour le no 13214.

6. À partir de 1839, la plus longue mise à disposition connue est de 20 mois pour le no 7267, puis de 11 mois pour son dernier piano le no 14810. On peut expliquer en partie le long prêt du no 7267 par le fait que Chopin ne va pas à Nohant en 1840.

7. Pour les pianos bien connus, c'est le cas lors des automnes 1839 (Chopin prend le no 7267), 1845 (car le piano de l'été à Nohant no11527 est vendu) et 1848 (prise du no 14810).

8. Chopin devait privilégier les modèles dit « petit patron », environ 2 m de long) correspondant à peu près aux pianos demi-queues actuels. Le modèle de concert est dit grand patron A (notés GPA). Pleyel a fabriqué des modèles intermédiaires, par exemple des GPB et GPC. Ces modèles ont été introduits en 1840. Le piano no 7267 était un grand patron noté GP en 1839 ce qui correspond l'année suivante à un GPB. Vers fin 1843, Pleyel revient à deux pianos à queue, le grand patron (env. 2 m 45) et le petit patron.

9. Le piano no 13214 fait exception : il a été validé sur le seul fait de son inscription. Les inscriptions en automne 1843 sur les pianos no 10039 et 10113 ont été validées aussi sans aller chercher d'autres pianos mais ces deux pianos se trouvent être pour l'été 1844, après les sélections habituelles,  les seuls candidats valables.

10. Le PP no 11265 fait exception, mais cela sera expliqué plus loin, et probablement aussi le PP no 12480.

Introduction Chapitre 1 : Méthodologie et caractéristiques généralesChapitre 2 : Les archives Pleyel Chapitre 3 : La recherche des pianos par période : Nohant été 1839 et Paris 1839-1841 ; Nohant été 1841 et Paris 1841-1842 ; Nohant été 1842 et Paris 1842-1843 ; Nohant été 1843 et Paris 1843-1844 ; Nohant été 1844 ; Paris 1844-1845 ; Nohant été 1845  ; Paris 1845-1846 ; Nohant 1846-1848 ; Paris 1846-1847 ; Bibliographie sélective.


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Mercredi 22 Mai, 2024 21:11