L’œuvre pour piano tient une place considérable – et tout à fait centrale – dans la production de Beethoven. Jusqu’à l’âge de quarante ans, il fut un pianiste hautement admiré, et écrivit tout naturellement sa musique de piano pour la jouer lui-même en public ou dans des concerts privés organisés par l’aristocratie viennoise. Avec le temps, et les ravages croissants de la surdité, sa production pianistique allait se raréfier, marquant même de longues périodes de pause, mais jusqu’à 1823-1824, années d’achèvement des Variations Diabelli et des ultimes Bagatelles, le musicien revint assez régulièrement à son instrument de prédilection. Un instrument qu’il finira par juger « insuffisant », mais dont il aura accompagné les développements en en tirant le plus grand profit. « Cet instrument tout neuf, du moins dans l’usage, il en surveillera les progrès avec passion, utilisant au fur et à mesure chaque nouvelle conquête de mécanisme, chaque pouce de territoire gagné dans le grave ou l’aigu du clavier (jusqu’aux six octaves et une quarte de la Hammerklavier). L’histoire de cette musique est celle de la rencontre d’un individualiste farouche, d’un indépendant, d’un solitaire, avec le seul instrument capable de lui répondre, de traduire cette octave infinie de l’émotion, inusitée avant lui, - celui même dont les romantiques feront leur plus intime confident. »18
Beethoven a fait accomplir à l’écriture pour piano un pas de géant et ce, « par des acquisitions progressives, une évolution constante de son style et, simplement, de sa personnalité de musicien. Ainsi, par exemple, la soumission de toute virtuosité aux exigences de sincérité de l’inspiration et, surtout, du lyrisme ; ainsi, encore, la conception quasi symphonique du clavier, à suggestions proprement orchestrales : tout un orchestre y semble retentir, et chacun de ses instruments y conserver sa couleur et son mode d’expression ; ainsi, pour terminer, l’émancipation des formes conventionnelles, pour aboutir à de nouveaux critères d’organisation logique n’ayant que l’apparence de la fantaisie : ceux d’une liberté conquise sur le passé, en somme, et offerte à l’avenir du piano, - à l’avenir de toute la musique. »19 Venant de Haydn et de Mozart, on est, comme les auditoires de l’époque, avant tout frappé par la radicalité de cette révolution « orchestrale »: « Effets de masse, avec de grands déplacements d’accords, des trémolos, des doublures à tous les registres ; dynamique violente, inséparable désormais du nom de Beethoven, avec ses oppositions de nuances, de l’extrême douceur à la brutalité, ses véhéments sforzandos, ses vastes crescendos aboutissant à un pianissimo inattendu ; imitation de timbres instrumentaux, préfigurant Liszt… »20 Sur ce plan comme sur beaucoup d’autres, Beethoven est assurément un « moderne ».
Michel Rusquet
5 septembre 2019
18. Sacre Guy, La Musique de piano, Robert Laffont, Paris 1998, p. 320.
19. Tranchefort François-René, Guide de la musique de piano et de clavecin, Fayard, Paris 1998, p. 90-91.
20. Sacre Guy, op.cit., p.322-323.
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Mercredi 17 Janvier, 2024