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24 août 2015, par Flore Estang (concerts des 13, 14, 15 août 2015) ——

XVIe Festival Bach en Combrailles (10-15 août 2015) : Qualité et fidélité en crescendo

Dominant Pontaumur, dans le Puy-de-Dôme, l'église de la petite bourgade des Combrailles a de nouveau accueilli cette année des organistes de renom et d'autres musiciens internationaux, pour de merveilleux concerts, lors du seizième festival Bach en Combrailles. Une semaine durant, les Pontaumurois, leurs bénévoles et le public, vivent, avec ce festival unique, une aventure musicale et humaine, qui renaît chaque année d'un drame et d'un mystère initiaux (voir notre article Combrailles 2014).

L'amitié indéfectible des organisateurs et la passion de la musique motivent leur fidélité à cette énorme machine qu'est l'organisation d'un festival à 5000 entrées. Environ un tiers du public revient fidèlement, depuis l'origine du festival, comme en pèlerinage, et assiste à tous les concerts. Associées au projet, neuf communes de la région ouvrent les portes de leur église : chronologiquement cette année, à Pontgibaut pour des Cantates, à Montel-de-Gelat pour un orchestre baroque et Corelli, à Miremont pour le violon baroque, à Herment pour le Chœur de la Radio lettone, à Loubeyrat pour le clavecin, à Saint-Hilaire-la-Croix pour l'Orchestre d'Auvergne, à Landogne pour le clavicorde, et enfin à Pontaumur pour le « Ca-bach-ret », suivi de la sublime Passion selon Saint-Jean. Sans oublier les concerts d'orgue quotidiens, à midi, également dans l'église de Pontaumur.

Peu de « bémols » dans ce marathon musical riche et varié,grâce à la réactivité hors pair des organisateurs. Par exemple, au dernier moment, la claveciniste Olga Paschenko n'ayant pas pu quitter son pays pour des raisons administratives, fut remplacée au pied levé par le jeune virtuose du clavecin Jean-Luc Ho, qui, faisant le détour par Loubeyrat entre deux concerts à Édimbourg et Paris, gratifia le public d'un concert mémorable.

Jean-Luc HoJean-Luc Ho.

Jouant avec les grands musiciens baroques actuels, le jeune musicien allie musicalité et technique incomparable. Avec un choix contrasté des œuvres au programme, Jean-Luc Ho montre au public médusé une multitude de facettes de l'instrument à cordes pincées. Chaque pièce « sonne » différemment de la précédente, avec la sensation d'une « instrumentation » distincte. D'un morceau à l'autre, on peut observer la position des mains modifiée, la voûte de la paume plus arrondie ou aplatie selon les phrases musicales, la souplesse des poignets au service de l'expression, la posture corporelle même, faisant varier le toucher, l'attaque des notes.

D'une marche de Lully au rythme scandé et majestueux, à une pièce plus volubile de Couperin, le timbre de l'instrument semble modifié. Le secret du musicien ? De son aveu même, ce n'est pas l'instrument qui l'intéresse le plus, mais la musique… et le timbre des autres instruments, appelé en renfort par la pensée et le geste, enrichit la palette de son clavier devenu ensemble instrumental, le solo de flûte répondant à la basse de viole, l'orchestre tout entier éclatant sous les doigts du virtuose. D'ailleurs, certaines pièces transcrites pour clavier par Jean-Luc Ho lui-même sont lues et interprétées en concert directement sur la partition d'orchestre. Après des études brillantes au CNSMDP avec Olivier Beaumont et Blandine Vernet, parmi les plus fameux clavecinistes français, le jeune claveciniste-organiste navigue avec aisance parmi les grands musiciens baroques de son temps, ce qui ne lui enlève ni sa spontanéité juvénile et sympathique.

Orchestre d'AuvergneOrchestre d'Auvergne.

Si tous les concerts du festival sont d'excellent niveau, l'un d'eux est incontournable, il représente une véritable institution dans le paysage culturel auvergnat. Le public est au rendez-vous ; « l'orchestre amène son propre public », confie un spectateur. Cependant, on peut se demander « qui est l'Orchestre d'Auvergne ?» Cet ensemble à cordes professionnel qui rayonne dans la région, par sa présence musicale et pédagogique à l'Opéra-Théâtre de Clermont-Ferrand, comporte 21 musiciens permanents, une partie des instrumentistes étant des renforts pour les concerts demandant un plus gros effectif, ce qui est une pratique courante. Ce fut le cas à Saint-Hilaire-la-Croix, où, cependant, les musiciens apparemment les plus dynamiques et investis se sont révélés extérieurs à l'ensemble permanent, Nadine et Amaury de Radio-France, Élisabeth de Cardiff, Baptiste de Hamburg. À côté de leurs collègues plus effacés, l'ensemble hétérogène semblait avoir du mal à s'exprimer harmonieusement.

Après le difficile répertoire de 2014 (œuvres de Carl Philipp Emmanuel Bach), le challenge de cette année était non moins périlleux : sans chef, l'orchestre accompagnait le violoniste Amaury Coeytaux dans des concertos (BWV 1042, 1046), interprétait avec lui un extrait de l'Art de la Fugue (Contrapunctus xiv), et des symphonies de deux des fils de Bach. Avec une sonorité claire et ronde, une parfaite justesse et des mouvements précis, le soliste avait cependant du mal à « passer » par-dessus l'orchestre qui le submergeait trop souvent.

Savonnant les traits difficiles, la contrebasse, même seule, alourdit considérablement la sonorité, pour les concertos. Les pupitres graves émettent, dans des nuances quasiment constantes, un son mal dégrossi et peu vibrant. Leur chef d'orchestre Roberto Forés Veses (absent ce soir) fait pourtant preuve d'un dynamisme  et d'une exigence musicale considérables, mais le violoniste soliste s'escrime à tirer l'ensemble dans les mouvements vifs des concertos. La sauce ne prend pas ! On accusera l'acoustique des églises et le peu de temps de travail possible en raison de la quantité de répertoire à absorber.

Trio Brin TzigTrio Brin Tzig et Aurélie Chenille.

Les installations dédiées aux concerts ont réservé également des surprises aux spectateurs. La Halle des Sports, gigantesque bâtiment de bois, fut métamorphosée, grâce aux idées originales de l'équipe du festival (moquette rouge au sol, petites tables, bougies d'ambiance) en salle de cabaret-concert, dont l'acoustique absolument parfaite a accueilli un groupe virtuose et enjoué de musiciens tziganes (le trio Brin Tzig) transcendant les liens entre Bach et la Hongrie populaire. Un pur bonheur dans lequel la technique démoniaque de la jeune violoniste Aurélie Chenille, quatrième insrumentiste du trio, n'avait rien à envier à son partenaire clarinettiste-saxophoniste Davy Sladek, tout cela servi avec sourire et humour !

Bouquet final de ce feu d'artifice sonore, la Passion selon Saint-Jean a été donnée dans l'acoustique parfaite de l'église de Pontaumur.

Après avoir fait ovationner les bénévoles du festival, le jeune président Antoine Anquetil a laissé à Gilles Cantagrel le soin de présenter brièvement l'œuvre. Le musicologue ayant précédemment gratifié le public d'une conférence sur Bach et ses Passions, les spectateurs conquis étaient rappelés à l'ordre avec humour, mais conviction : applaudissements interdits entre les deux parties de la Passion et aucun entracte. Malgré la rugosité des sièges, l'enchaînement des deux moments musicaux de la passion fut apprécié. L'accent ayant été mis également sur l'importance du texte, la majorité des spectateurs suivirent le livret reproduit dans le programme, l'église étant restée allumée pour l'occasion.

Gilles CantagrelGilles Cantagrel.

Dans un silence patient, chaque musicien s'accorda individuellement avec l'orgue de chœur, ce qui est rare et s'est avéré utile. Puis, le chef Patrick Ayrton leva les bras et … miracle de sons divins, les accords sublimes du cantor jaillirent avec une perfection de timbres, d'harmoniques, de rythme, dans une synchronisation quasi chorégraphique. Un engagement total et un choix esthétique assumé par l'orchestre, nommé justement Les Inventions, décuplèrent le potentiel expressif de l'ensemble. Le chef relançant, par des nuances mouvantes, la ferveur dramatique de la narration musicale, les instrumentistes ont ainsi déroulé un tapis sonore pour accueillir le chœur de la Radio lettone qui, par sa technique sans faute, sa respiration même, EST musique. Les seize choristes également solistes, répartis dans quatre pupitres, sonnent comme soixante interprètes, avec une ampleur rare, une couleur ronde, les forte jamais criés, les pianississimi sonores. Chanteurs et instrumentistes, savent fondre leur partie individuelle avec harmonie dans la riche polyphonie. Patrick Ayrton dirige avec souplesse et précision.

Dans cette distribution exceptionnelle, les chanteurs solistes s'intègrent à parfaitement : le jeune haute-contre Benno Schachtner a ravi l'assemblée par son timbre pur et sa technique de souffle impressionnante. L'évangéliste Nicolas Mulroy possédant la partie soliste la plus longue de la partition, a accepté néanmoins de chanter également le rôle du ténor, et, gigantesque challenge, tout entièrement par cœur. Porteur de la lourde responsabilité du « narrateur », il montre, par ses qualités musicales, sa voix claire, et son engagement, un évangéliste dramatique et crédible. Les autres solistes chantent également presque sans partition, et le niveau musical en est considérable. Le baryton Peter Harvey, au timbre chaud et rond, interprète Jésus avec retenue et émotion. Lorsque le chœur accompagne pianissimo l'un de ses airs, le public semble suspendu, quasiment en apnée, devant tant de beauté. La jeune soprano Stephanie True interprète avec légèreté ses deux airs, dont le second, après une pause de plus d'une heure, immobile sur sa chaise, est redouté par toutes les sopranos lyriques.

On se reportera aux liens ci-dessous pour les autres concerts, tous de très haut niveau. Le Festival 2016 Bach en Combrailles ne doit pas être manqué. À nouveau, des moments exceptionnels et uniques seront proposés aux mélomanes. Pour compléter le cycle des grandes œuvres religieuses du Cantor, Patrick Ayrton interprétera la Messe en si, qui promet d'être un évènement magique à Pontaumur, lieu de culte et de musique touché par la grâce.

Flore Estang
24 août 2015
© musicologie.org

Dans les carnets de Flore Estang

Chateaubriand et la musique : Mémoires d'Outre-Tombe et autres écrits (23 juin 215)

L'opéra français au xxie siecle, imaginaire ou réalité ? (18 juin 2015)

Les mousquetaires à Châtillon Un régal populaire et vivant (19 juin 2015)

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Mercredi 23 Novembre, 2022 15:01