29 août 2023 —— Jean-Luc Vannier.

Arnold van Wyk et Hendrik Hofmeyr : piano et voix enchanteurs de la musique savante sud-africaine

Hendrik Hofmeyr, Arnold van Wyk : Nagmusiek, Minette Du Toit-Pearce (mezzo-soprano), Marika Hofmeyr (piano). Triton/Hortus 2023 (HORTUS 577).

Il ne faut pas hésiter à se plonger dans Nagmusiek, titre de cet album paru conjointement chez Hortus et Triton du nom de cette « Musique de nuit », Fantaisie nocturne pour piano d’Arnold van Wyk (1916-1983) achevée en 1955 après plusieurs années d’élaboration. Album qui comprend aussi de superbes pièces écrites pour la voix – parmi un imposant répertoire d’œuvres scéniques, orchestrales, de chambre, chorales et pour piano – de Hendrik Hofmeyr (1957- ).

Si les sonorités perçues ressemblent au néerlandais, l’afrikaans, langue choisie pour ces onze Lieder qui possèdent le point commun d’être composés sur des poèmes de personnalités sud-africaines – Elisabeth Eybers (1915-2007), Mattheus Uys Krige (1910-1987), Eugène Marais (1871-1936), Ingrid Jonker (1933-1965) –, conserve néanmoins sa spécificité : celle de charmer d’autant plus l’auditeur par la douceur de ses harmonies et l’énergie de ses timbres que la mezzo-soprano Minette Du Toit-Pierce nous en restitue avec une rare générosité tout le riche éventail. En témoignent ses surprenantes ondulations atonales sur Winternag, son intime Die moeder ou, plus saisissants encore, ses très incarnés Woorde in die wind (Mots dans le vent). Avec ce grain de voix à la chaude sensualité qui n’ôte rien à l’extrême sensibilité de l’expression, cette ancienne élève de l’American Institute of Musical Studies de Graz (Autriche) ne pouvait qu’être encensée pour son interprétation en 2017 du Chant de la Terre de Gustav Mahler.

Les deux compositeurs aux destins diversement marqués par la situation politique en Afrique du Sud – Arnold van Wyk est contre son gré plus ou moins associé aux nationalistes tandis que Hendrik Hofmeyr préfère l’exil en Europe avant de rentrer au pays en 1992 – puisent, tout comme les poèmes sur lesquels ils composent, leur inspiration dans les affres de la psyché humaine et dans ses relations passionnées avec la nature : peut-être une manière de symboliser d’autres rapports, cette fois-ci de puissance, de soumission et de conquête comme l’illustrent Die Kind (L’enfant) et Bitterbessie dagbreek (Goût amer de l’aurore). Ce CD pourrait ainsi faire œuvre de réconciliation : en 2017 fut créé au sein du Département de musicologie de l’Université de Stellenbosch (Cap occidental) un cours de musique savante sud-africaine qui étudie – ensemble – les œuvres de Hendrik Hofmeyr et d’Arnold van Wyk avec celles de William Henry Bell (1873-1946), de Michael Moerane (1904-1980) – premier Sud-Africain de couleur à avoir composé un poème symphonique en 1941 –, d’Andile Khumalo (1978-), de Roelof Temmingh (1946-2012) et de Jeanne Zaidel-Rudolph (1948- ).

Si elle jongle avec aisance entre discrète ponctuation et dialogue soutenu avec la voix dans ses accompagnements, la pianiste Marika Hofmeyr nous subjugue par son admirable interprétation de Nagmusiek. Passée dans sa formation par Salzbourg et Vienne mais sans relation de parenté directe avec Hendrik – tous deux sont affiliés aux descendants du premier Hofmeyr débarqués au Cap en 1744 pour servir la puissante Vereenigde Oostindische Compagnie –, elle nous fait découvrir une œuvre fascinante qui nous envoûte par cet équilibre entre des variations si subtilement agencées de thèmes que celles-ci nous semblent parfois empreintes de classicisme…ce dernier bientôt démystifié par d’inattendues accentuations tonales et de récurrentes césures rythmiques. Une sombre énigme mêlée de familiarité : n’est-ce pas finalement ce qu’Arnold van Wyk résume dans cette formule « montrer la nuit comme le prototype de l’amour, du sommeil et de la mort » ?

Nice, le 29 août 2023
Jean-Luc Vannier
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