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Heinrich Schütz : Musikalische Exequien

Dresden, 1636, SWV 279 à 281, textes, traduction, analyse

Par Ivan Beuvard ——

Les partitions

Index

Texte et traductions
I. Concert in Form einer teutscher Begräbnis-Missa SWV 279
II. Motette « Herr, wenn ich nur Dich habe », DWV 280
III. Canticum B.Simeonis « Herr, nun lässst Du Deiner Diener »

Essai d'analyse du Musikalische Exequien, de Schütz
sous l'angle de la relation entre le texte et son illustration musicale
.

Concert in Form einer teutscher Begräbnis-Missa
Motette « Herr, wenn ich nur Dich habe »
Canticum B.Simeonis « Herr, nun lässst Du Deiner Diener

Petite conclusion

Glossaire

Parties du texte illustrées par d'autres compositeurs

Textes et traduction

Cette proposition de traduction se veut la plus littérale, textuelle, au détriment de la qualité littéraire.Les sources bibliques sont en majuscules, les auteurs des textes des chorals en minuscule

I. Concert in Form einer teutscher Begräbnis-Missa
SWV 279

I. Concert en forme de messe d'enterrement allemande
SWV 279

Ensemble Amarcord & Capella Sagittarina Dresden.


Intonatio [JOB 1.21]: Nakket bin ich von Mutterleibe kommen.

Intonatio : Nu, je suis sorti du sein de ma mère.


Soli [JOB 1.21]: Nakket werde ich wiederum dahinfahren. Der Herr hat's gegeben, der Herr hat's genommen, der Name des Herren sei gelobet.

Soli : Nu j'y retournerai. Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ; que le nom du Seigneur soit béni.


Capella [Kyrie 1] : Herr Gott, Vater im Himmel, erbarm dich über uns.

Capella :
Seigneur Dieu, Père qui est aux cieux, aie pitié de nous.


Soli [JEAN 1.29b & PHILIP. 1.21]: Christus ist mein Leben, Sterben ist mein Gewinn.
Siehe, das ist Gottes Lamm, das der Welt Sünde trägt.

Soli : Christ est ma vie, la mort est mon gain.
Voici l'agneau de Dieu, qui porte le péché du monde.


Capella [Christe]: Jesu Christe, Gottes Sohn, erbarm dich über uns.

Capella : Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de nous.


Soli [ROMAINS 14.8] : Leben wir, so leben wir dem Herren. Sterben wir, so sterben wir dem Herren, darum wir leben oder sterben, so sind wir des Herren.

Soli : Nous vivons, aussi nous vivons pour le Seigneur, aussi nous mourrons pour le Seigneur, Que nous vivions ou que nous mourrons, nous sommes au Seigneur.


Capella [Kyrie 2]: Herr Gott, heiliger Geist, erbarm dich über uns.

Capella : Seigneur Dieu, Esprit Saint, aie pitié de nous.


 [GLORIA]

Intonatio [JEAN 3.16]: Also hat Gott die Welt geliebt, das er seinen eingebornen Sohn gab,

Intonatio : Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son fils unique


Soli [JEAN 3.16]: auf dass alle, die an ihn gläuben, nicht verloren werden, sondern das ewige Leben haben.

Soli : Afin que tous ceux qui croient en lui ne périssent point, mais qu'ils aient la vie éternelle.


Capella [Luther: strophe 2 de Nun freut euch, lieben Christen g'mein, 1523]: Er sprach zu seinem lieben Sohn: Die Zeit ist hie zu erbarmen, Fahr hin, mein's Herzens werte Kron, und sei das Heil der Armen Und hilf ihn' aus der Sünden Not, erwürg für sie den bittern Tod Und lass sie mit dir leben.

Capella : Il dit à son fils bien-aimé : Le temps est venu de la compassion, Va, couronne valeureuse de mon cœur, et sois le salut des pauvres, Aide-les à sortir du péril du péché, étrangle pour eux la mort amère Et fais les vivre avec toi.


Soli [I JEAN 1.7b]: Das Blut Jesu Christi, des Sohnes Gottes, machet uns rein von allen Sünden.

Soli : Le sang de Jésus-Christ, le Fils de Dieu, nous purifie de tous les péchés.


Capella [Johannes Helmbold, 1575]: Durch ihn ist uns vergeben die Sünd, geschenkt das Leben, im Himmel soll'n wir haben, o Gott, wie grosse Gaben !

Capella : Par lui nous sont pardonnés les péchés, nous est donnée la vie, qu'au ciel nous ayons, ô Dieu, de grands présents !


Soli [PHIL 3.20-21a]: Unser Wandel ist im Himmel, von dannen wir auch warten des Heilandes Jesu Christi, des Herren, welcher unsern nichtigen Leib verklären wird, das er ähnlich werde seinem verklärten Leibe.

Soli : Notre conduite est dans les cieux, d'où nous attendons aussi comme sauveur le Seigneur Jésus-Christ, qui transformera notre corps de néant en le rendant semblable au corps transfiguré.


Capella [Johannes Leon, 1592-98]: Es ist allhier ein Jammertal, Angst, Not und Trübsal überall, des Bleibens ist ein kleine Zeit voller Mühseligkeit, und wers bedenkt, ist immer im Streit.

Capella : Ici-bas est une vallée de larmes, partout angoisse, détresse et tristesse, le séjour est un temps bref, chargé de peines, et qui y songe est toujours en discorde.


Soli [ESAÏE: 1.18]: Wenn eure Sünde gleich blutrot wäre, soll sie doch schneeweiss werden. Wenn sie gleich ist wie rosinfarb, soll sie doch wie Wolle werden.

Soli : Si vos péchés sont comme rouge sang, ils deviendront blancs comme neige ; S'ils sont de couleur rose, ils deviendront comme la laine.


Capella [Ludwig Helmhold, 1575]: Sein Wort, sein Tauf, sein Nachtmahl dient wider allen Unfall, der Heilige Geist im Glauben lehrt uns darauf vertrauen.

Capella :Sa parole, son baptême, sa cène préservent de toute chute,
le Saint-Esprit nous enseigne à avoir foi et confiance.


Soli [ESAÏE 26.20]: Gehe hin, mein Volk, in eine Kammer und schleuss die Tür nach dir zu ! Verbirge dich einen kleinen Augenblick, bis der Zorn vorübergehe.

Soli : Va, mon peuple, entre dans une chambre, ferme la porte derrière-toi, cache-toi quelques instants jusqu'à ce que la colère soit passée.


SAGESSE [3.1-3] : Der Gerechten Seelen sind in Gottes Hand, und keine Qual rühret sie an, für den Unverständigen werden sie angesehen, als stürben sie, und ihr Abschied wird für eine Pein gerechnet, und ihr Hinfahren für Verderben, aber sie sind in Frieden.

Les âmes des justes sont dans la main de Dieu, et aucun tourment ne les affecte. Pour ceux dépourvus d'entendement, ils semblent mourir, et leur départ est considéré comme une souffrance, et leur éloignement comme une corruption ; mais ils sont en paix.


[PS 73.25-26] : Herr, wenn ich nur dich habe, so frage ich nichts nach Himmel und Erden. Wenn mir gleich Leib und Seele verschmacht, so bist du Gott allzeit meines Herzens Trost und mein Teil.

Seigneur, si je n'avais que toi, je n'interrogerais pas le ciel et la terre
Quand mon corps et mon âme languissent, Tu es Dieu pour l'éternité
le réconfort de mon cœur et mon partage.


Capella [Luther, 1524]: Er ist das Heil und selig Licht für die Heiden zu erleuchten, die dich kennen nicht, und zu weiden, er ist deines Volks Israel der Preis, Ehr, Freud und Wonne.

Capella : Il est le salut et la lumière sainte pour éclairer les païens, ceux qui ne te connaissent point et les rassasie. Il est la récompense, l'honneur, la joie et le ravissement de son peuple Israël.


Soli [PS 90.10]:Unser Leben währet  siebenzig Jahr, und wenn's hoch kömmt, so sind's achtzig Jahr, und wenn es köstlich gewesen ist, so ist es Müh und Arbeit gewesen.

Soli : Notre vie dure soixante- dix ans, et même si elle s'élève davantage, ainsi quatre-vingt ans, et si c'était devenu précieux, c'est devenu peine et labeur.


Capella [Johannes Gigas, 1566]: Ach, wie elend ist unser Zeit allhier auf dieser Erden, gar bald der Mensch darniederleit, wir müssen alle sterben, allhier in diesem Jammertal, ist Müh und Arbeit überall, auch wenn dirs wohl gelinget.

Capella : Ah, combien notre temps est misérable ici-bas sur cette terre, Bientôt l'homme gît, nous devons tous mourir, ici-bas dans cette vallée de larmes, il n'est partout que peine et labeur, aussi, quand il te conviendra.


Solus [JOB 19.25-26]: Ich weiss, dass mein Erlöser lebt, und er wird mich hernach aus der Erden auferwecken, und werde darnach mit dieser meine Haut umgeben werden, und werde in meinem Fleisch Gott sehen.

Solus : Je sais que mon sauveur vit, et qu'il me réveillera et me tirera de la terre, et après m'avoir enveloppé de ma peau, et je verrai Dieu dans ma chair.


Capella [Nikolaus Herman, 1560]: Weil du vom Tod erstanden bist, werd ich im Grab nicht bleiben, mein höchster Trost dein auffahrt ist, Todsfurcht kannst du vertreiben, denn wo du bist, da komm ich hin, dass ich stets bei dir leb und bin drum fahr ich hin mit Freuden.

Capella : Parce que tu es ressuscité de la mort, je ne resterai point dans la tombe, ma consolation suprême est ton ascension, tu peux chasser la crainte de la mort, car là où tu es je viens, pour vivre et être toujours près de toi, aussi je pars dans la joie.


Soli [GEN 32.26]: Herr, ich lasse dich nicht, du segnest mich denn.

Soli : Je ne te laisserai point aller, que tu ne m'aies béni.


Capella [Luther, 1523]: Er sprach zu mir: halt dich an mich, er soll dir itzt gelingen, Ich geb mich selber ganz für dich, da will ich für dich ringen,den Tod verschlingt das Leben mein, mein Unschuld trägt die Sünde dein; da bist du selig worden.

Capella : Il me dit : reste auprès de moi, cela te réussira, Je  me donne moi-même entièrement à toi, pour toi je veux combattre, la mort est dévorée par ma vie, mon innocence porte tes fautes ; Ainsi es-tu devenu saint.


II. Motette « Herr, wenn ich nur Dich habe », DWV 280

II. Motet : « Herr, wenn ich nur Dich habe », SWV 280

Chorus I & II [PS 73.25-26]: Herr, wenn ich nur dich habe, so frage ich nichts nach Himmel und Erden. Wenn mir gleich Leib und Seele verschmacht, so bist du doch, Gott, allezeit meines Herzens Trost und mein Teil.

Chorus I & II : Seigneur, si je n'avais que toi, je n'interrogerais pas le ciel et la terre Quand mon corps et mon âme languissent, Tu es Dieu pour l'éternité, le réconfort de mon cœur et mon partage.


III. Canticum B.Simeonis« Herr, nun lässst Du Deiner Diener »

III. Cantique de Siméon

Intonatio [LUC 2.29a]: Herr, nun lässest du deiner Diener

Intonatio :Seigneur, maintenant, laisse ton serviteur


Chorus I [LUC 29b-32] : in Frieden fahren, wie du gesagt hast. Denn meine Augen heben deinen Heiland gesehen, welchen du bereitet hast für allen Völkern,ein Licht, zu erleuchten die Heiden und zum Preis deines Volks Israel.

Chœur I :Aller en paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu ton salut,
salut que tu as préparé devant tous les peuples, une lumière pour éclairer les païens, et gloire d'Israël, ton peuple.


Chorus II [SAGESSE 3.1; APOC. 14.13] : Selig sind die Toten, die in dem Herren sterben. Sie ruhen von ihrer Arbeit, und ihre Werke folgen ihnen nach. Sie sind in der Hand des Herren und keine Qual rühret sie.
Selig sind die Toten, die in dem Herren sterben.

Chœur II :Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur ! Afin qu'ils se reposent de leurs travaux, car leurs œuvres les suivent. Ils sont dans la main du Seigneur et nul tourment ne les atteint. Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur !


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Essai d'analyse du Musikalische Exequien, de Schütz sous l'angle de la relation entre le texte et son illustration musicale.

Les textes trouvent leur origine dans le choix qu'en fit le comte Heinrich Posthumus [der Nachgeborene : né après la mort de son père] von Reuss, pour être gravés sur les parois externes de son cercueil (celui-ci a été extrait du caveau, ce qui a permis d'y retrouver les 21 inscriptions). A son décès, sur ses terres de Thuringe, à Gera, le 3 décembre 1635, sa veuve et ses fils confièrent à Schütz, maître de chapelle à Dresde (moins de 150 km) et ami personnel du défunt, de composer une musique destinée à ses obsèques, avant et après l'oraison funèbre, conformément au vœu du comte. C'est le 4 février 1636 qu'eut lieu la cérémonie, dont on a gardé trace (le sermon et les textes des chorals chantés par l'assemblée). Les paroles du Musikalische Exequien sont d'origine biblique ou liturgique (versets de chorals).

Trois parties, très différenciées et d'inégales longueurs.

I. Konzert in Form einer teutschen Begräbnis Missa (293 mesures)

Le terme de « Missa » est justifié par l'ajout par Schütz des trois strophes d'un Kyrie trinitaire allemand, seule analogie avec la messe romaine. Un petit chœur de 2 à 6 solistes est opposé au chœur principal à 6 voix (Kapellchor).

2. Motet « Herr, wenn ich nur dich habe » (48 mesures)

Double choeur à 8 voix (technique vénitienne, à laquelle Schütz s'était initié auprès de Gabrieli). Formation privilégiée des Psalmen Davids.

3. Canticum B.Simeonis «Herr, nun lässest du deinem Diener in Friede fahren » (61 mesures)

Toujours deux chœurs dialogués, mais dans un tout autre esprit : le petit chœur de 3 solistes représente 2 séraphins et l'âme du mort (basse), et doit être placé ou dispersé en divers lieux de l'église.

[les références entre crochets sont relatives à l'édition Bärenreiter : page, suivie du n° de mesure ; celles relatives à l'édition Carus sont signalées entre deux / : page et n°.

I. in Form einer teutschen Begräbnis Missa

A. Intonatio [11-0]  /1-n° 1/ : directement issue du plain-chant (conservé dans la réforme luthérienne).

Soli [11-1] /1-n° 2/ : les 3 voix d'hommes, quasi homophones, poursuivent le verset de l'intonation et préparent l'entrée du chœur. Le rythme de der Herr hat's gegeben, chanté  ici 3 fois, se retrouve sur nach Himmel und Erden [55-20].

Capella [12-7] /1-n° 3/ : l'équivalent du 1er Kyrie. homophone, donc affirmation énergique.

In Himmel (au ciel) : la mélodie principale marque un sommet ; erbarm dich (aie pitié…) : humilité qui s'enfonce dans le grave.

Soli [13-14] /2-n°4/ : Christ est ma vie, phrase vivante avec 2 passages ascendants ; en opposition, sterben ist mein Gewinn (mourir…), descente inexorable en valeurs allongées, dont l'incise rythmique est reprise sur Der Gerechten Seelen [31-128]. Le ténor 1 chante l'agneau de Dieu, qui porte les pêchés du monde, là encore phrase descendante.

Capella [14-25] /2-n°5/ : Jesu Christe, Gottes Sohn, équivalent du Christe traditionnel. Toujours le même traitement de « erbarm dich ».

Soli [15-32] /2-n°6/ : Leben wir… animation des croches et ascension d'une 3ce ; sterben wir …descente d'une 5te sur des valeurs régulières (noires). Le même figuralisme se reproduit ensuite. Long mélisme sur l'affirmation de notre appartenance au Seigneur.

Capella [16-42] /3-n°7/ : le second Kyrie, reprend le matériau du premier, avec toujours la même inflexion sur erbarm dich.

B. Intonatio [17-0] /4-n°8/ : de même nature que celle qui ouvre la première partie.

Soli [17-1] /4-n°11/ : quasi homophone, avec anticipation du S1 (auf das alle…) ; anapestes (noire-deux croches) joyeux traduisant la perspective de la vie éternelle. Noter aussi l'élargissement de l'ambitus¤ (3ce mesure 1, et 3ce deux fois redoublée mesure 10). Enfin remarquer la formule rythmique de die an ihn gläuben, que l'on retrouvera (und wers bedenkt, 27-84, puis ist Müh und Arbeit, 40-211)

Capella [18-8] /4-n° 10/ : Er sprach, traité comme une sorte d'interjection (cf. Fahr hin 19-12, der Preis, 36-173, et ich geb, 49-278, également disyllabiques) ; première apparition de l'important motif mélodique énoncé par les S1 (les femmes se voient confier l'énoncé de la compassion), repris par les hommes m.14. Il sera réemployé tout d'abord 36-175 sur Ehr, Freud und Wonne, puis (précédé de Er sprach zu mir) 49-276, pour conclure la première première pièce. Noter l'opposition 4 v. élevées / 3 v. graves pour souligner tire-les du péril du péché / étrangle la mort amère, dont le rythme réapparaîtra 2 fois (27-82 puis 85 sur des Bleibens ist ein kleine Zeit ; enfin 49-278 : ich geb mich selber ganz für dich). De nouveau amplification sur fais-les vivre avec toi (élargissement d'une 8ve à une 3ce doublement redoublée).

Soli [21-23] /6-n° 11/ : dialogue S2-T2 ; noter le long mélisme douloureux (das Blut Christi) et la 5te descendante conjointe¤ (des Sohnes Gottes) puisque le Fils descend du Père… ; m. 31 (machet uns rein) anapeste = joie ; rein (pur) dans la tessiture élevée et Sünden (fautes) plus basse.

Capella [23-47] /6-n°12/ : métrique permanente 3+3 ; 2+2+2, qui n'est pas le fait du hasard. Le rythme répété pour les deux phrases (Durch ihn ist uns vergeben, et O Gott, wie grosse Gaben) est répété plus loin [30-111 : Sein Wort, sein Tauf… et 50-281 : Den Tod verschlingt, puis Mein Unschuld trägt]. Caractère dansant, malgré l'aspect grave du sujet.

Soli [23-55] /6-n° 13/ : notre cheminement est au ciel… avec une montée vers Himmel, naturellement. Et retombée sur terre, puisque nous le quittons, pour de là nous attendrons le Sauveur..., ce dernier étant chanté à l'octave supérieure. À souligner ensuite les mélismes descendants, de plus en plus développés sur verklären, ce qui se justifie par la lumineuse transfiguration.

Capella [26-75] /7-n° 14/ : Es ist allhier ein Jammertal, énoncé par les parties supérieures, repris à l'identique par les parties inférieures, toujours binaire. L'aspect sombre du texte suivant (Angst…) est traduit par un élargissement dans le grave de l'ambitus, alors que les voix, particulièrement S1, S2 et A, chantent déjà dans leur tessiture grave. A signaler que la formule rythmique de l'incise est reprise avec les textes Ach wie elend et Gar bald der Mensch [39-202 et 204]. Puis évocation de la brièveté d'une vie de peine et de conflits. Noter les alternances ternaires et binaires de des Bleibens ist ein kleine Zeit.

Soli [28-88] /9-n° 15/ : Si nos péchés étaient rouges sang, phrase longue, donc pénible. Ils deviendraient blancs comme neige, valeurs brèves, synonymes de vie. Illustration de Wolle (la laine,  blanche) par des mélismes amplifiés.

Capella [30-111] /9-n° 16/ : Sein Wort…, affirmation homophone, sur rythme déjà signalé [23-47 & 52 ; 50-281 & 283] ; suivre les inflexions mélodiques de la partie supérieure (phrase descendante, car on commence par la Parole pour terminer sur les périls). En contraste, phrase ascendante, privée des 2 voix graves, pour «'Esprit Saint dans la Foi…Métrique : alternance de 2 ternaires et de 3 binaires [30-111 à 118] qui confère une force singulière au texte.

Soli [31-119] /9-n° 17/ : Alto solo. Naturellement le Gehe hin (sors), ascendant avec formule rythmique dynamique ; le fait de se cacher dans un lieu clos pour fuir la colère entraîne une descente inexorable dans les profondeurs. La « moralité » est confiée aux S1, S2 et B (cf. Cantique de Siméon, final), homophone. La basse poursuit la narration (soulignement de als stürben dans le grave, en valeurs longues, car il s'agit de la mort). Commentaire des S1 et S2 (mais ils sont en paix, rythme de darum wir Leben, 15-37), valeurs longues pour souligner cette paix (in Frieden). On aura remarqué le mouvement dynamique ascendant de Hinfahren (montée). Le T fait son entrée sur le texte qui sera celui du Motet (suivant) en répétant la même phrase d'invocation à la 3ce supérieure. Répétition encore de so frage ich, à la 2de supérieure. Le rythme de cette incise se retrouvera sur Ich lasse dich nicht [46-261]. On retrouve l'opposition Himmel und Erde(n), avec la terre en bas, bien sûr. Etalement par les 4 solistes du membre de phrase Wer mir gleich Leib… qui traduit cette consomption, avec, en contraste animé (anapeste joyeux) so bist du Gott, qui affirme fortement mein Teil (mon allié).

Capella [34-164] /10-n° 21/ : Er ist das Heil, reprend la 4e strophe du choral Mit Fried und Freud de Luther (n° 519 de l'Evangelisches Gesangbuch moderne), qui renvoie à la 3e partie du Musikalische Exequien. Mélisme douloureux sur Heiden (les incroyants), zu erleuchten (pour éclairer) culmine, et la mélodie s'enfonce sur ceux qui ne te connaissent pas. L'incise du choral est reprise sur er ist seines Volks Israel par les S2, par les S1 enfin par les T2 qui concluent ; ponctuations-commentaires sur der Preis, Ehr, Freud und Wonne des autres parties.

Soli [37-179] /11-n° 22/ : Notre vie durerait-elle soixante-dix ans, phrase descendante (la vie s'écoule comme dans un sablier) sur une octave, énoncée tour à tour par les voix graves (B, puis A ou B2). Et même davantage, le hoch (haut) accentué sur une note élevée. So sind's achtzig Jahr, mouvement descendant, comparable à l'énoncé des 70 ans. So ist es Müh und Arbeit : la phrase descendante est découpée, accablée par la peine et le travail qui épuisent. Gewesen (participe passé du verbe être) est illustré par un mélisme…qui dure.

Capella [39-202] /12-n°23/ : Ach wie elend… (comme notre temps sur cette terre est misérable), longue phrase conjointe d'un ambitus de 5te. Même incise rythmique que Es ist allhier ein Jammertal et Angst, Not und Trübsal [26-75 & 80]. Noter la chute sur Erde(n) : la terre est basse.

L'image de l'homme couché, malade, attendant la mort, est traduite par un mouvement conjoint, qui avec peine, progresse d'une tierce (dans chaque partie), suivie de wir müssen alle sterben, toujours résigné (même rythme prosodique que allhier auf dieser Erden 39-203). Ici, dans cette vallée des larmes, partout peine et labeur, le même sentiment prévaut à travers la réitération de la formule par chaque partie. En conclusion, soumission confiante confiée aux parties supérieures, auxquelles s'ajoutent les autres, élargissement d'une 5te à trois octaves et une quinte. Noter les incises sur les notes arpégées de l'accord parfait = joie.

Soli [42-218] /13-n° 24/ : ce solo, confié au seul T1, est une sorte de récitatif réaffirmant la foi du chrétien, en 3 articles : je sais (ou je crois) que mon Sauveur vit ; qu'il me réveillera et me tirera de la terre ; qu'ensuite il me revêtira de ma peau et me fera voir Dieu dans ma chair. Noter le mouvement particulier sur aus der Erden auferwecken, sorte d'exhumation mélodique. Ce texte connaîtra de nombreuses illustrations, surtout après 1700.

Capella [43-242] /14-n° 25/ : opposition de registre des 12 premières mesures. Ce n'est pas un double chœur, mais ça y ressemble. Tout semble gouverné par la métrique ternaire (perfection) contrariée seulement par le binaire des fins de phrases. Les seules valeurs brèves soulignent le hin de fahr ich hin. Nous avons déjà rencontré cette illustration du mouvement. Mit Freuden : la joie est essentielle, donc valeurs longues.

Soli [46-261] /15-n° 26/ : Seigneur, je ne t'abandonne pas : la cellule rythmique caractéristique [semblable à celle de So frage ich nichts [33-150 et 53-12] est répétée 42 fois en ce bref fragment… Du segnest mich denn, seconde cellule rythmique (conclusive) 23 fois (dont 20 à la fin). Impression d'une foule (turba des Passions) unanime dans sa foi.

Capella [48-273] /16 n° 27/ : Toute cette partie n'était qu'une introduction car avec Er sprach zu mir (il me dit), c'est le Christ qui s'exprime. Donc homophonie… Cela te réussira : nous retrouvons la formule mélodique énoncée dès [18-10] et qui sera reprise canoniquement par chacune des voix, avec divers textes, jusqu'à la conclusion de cette première partie. Le rythme de Den Tod verschlingt a déjà été rencontré [23-47 et 52 ; 30-111]. Noter  que les fautes des hommes, que porte le Christ sont traduites par les 3 voix graves, et que la sainteté – source de joie – est affirmée par une amplification par accumulation, une sorte de strette, jusqu'à l'accord ultime.

 

II. Motet « Herr, wenn ich nur dich habe »

Herr, wenn ich nur dich habe [52-1]: écho rigoureusement semblable du 2d choeur; puis sorte de strette et tutti des deux chœurs.

so frage ich nichts nach Himmel und Erden [54-14]: dialogue entre les deux choeurs, avec la formule dynamique de l'incise (so frage ich nicht). Et figuralisme élémentaire d'Himmel (haut) et auf Erden (bas). Tutti final des deux chœurs.

Wenn mir gleich Leib und Seele verschmacht [55-21] : Linéarité conjointe avec allongement sur Leib und Seele.

so bist du doch, Gott [55-23]: en contraste, la formule jubilatoire, sorte de leitmotiv¤, est reprise sept fois, ponctuant les différentes phrases jusqu'au terme de la pièce.

allezeit meines Herzens Trost und mein Teil [57-30 : Amplification par tuilage rapproché et expansion des registres. La formule rythmique demeure inchangée, jusqu'à la conclusion [59-46] où Schütz dynamise meines Herzens Trost par un anapeste. Fin grandiose.

III. Canticum B.Simeonis
Herr, nun lässest du deinem Diener in Friede fahren

Intonatio [60-0]

…in Friede fahren [60-1] : le grand choeur achève la phrase de l'intonation de façon très linéaire, paisible.

Wie du gesagt hast [61-8]: fin homophone = affirmation. Les parties extrêmes (superius et bassus) en valeurs longues, encadrent les parties intérieures avec entrées en imitation (à la 4te sup et à l'8ve inf.). Présentation initiale fortiter, et répétition submisse.

Denn meine Augen haben deinen Heiland gesehen [63-17]: soulignement de Heiland (sauveur).

welchen du bereitet hast für allen Völkern [64-23] : für allen Völkern est rythmé différemment à chacune des parties (les deux fois). Faut-il y voir une illustration de la différence entre les peuples ? Peut-être ici, mais remarquer que l'énonciation suivante[66-32] est homophone, donc unanime, qui s'achève submisse.

Sie ruhen von ihrer Arbeit [65-27] : horizontalité reposante (mélisme sur ½ ton). mélisme du S2 pour souligner la pénibilité du travail.

und ihre Werke folgen ihnen nach [66-33]: même incise rythmique que allezeit meines Herzens Trost [56-29]

Ein Licht, zu erleuchten die Heiden [67-37]: affirmation homophone quasi recto-tono,  sur un ambitus restreint, qui se répète à peine plus haut, mais dans une formation où l'on est monté d'un cran par la perte des basses compensée par l'entrée du superius.

Sie sind in der Hand des Herren, und keine Qual rühret sie [67-41] : L'ambits se resserre sur in der Hand, comme si la main se rétractait pour mieux garder son contenu. Homophonie de la fin de phrase, descendante (de la main du Seigneur) affirmation unanime et paisible.

Ein Licht, zu erleuchten die Heiden und zum Preis deines Volks Israel [68-49]. Fortiter, puis submisse (lors de l'entrée du petit chœur sur la reprise de Selig sind die Toten). Fin par le grand chœur seul.

Petite conclusion

En guise de (petite) conclusion, il convient d' insister sur deux points:

P.S. : Une analyse modale-harmonique « traditionnelle » a été délibérément égligée (pour l'instant !). A suivre ?

Glossaire

ambitus : étendue d'une mélodie, ou d'une polyphonie, de la note la plus grave à la plus aiguë.

anapeste : rythme deux brèves- une longue.

conjoint(es) : deux notes immédiatement consécutives, ou mélodie dont les notes sont conjointes.

disjoint(es) : notes non consécutives dans l'échelle des hauteurs, ou mélodie formée de telles notes.

figuralisme : tentative de traduction d'un mot, d'une idée dans l'écriture musicale.

fortiter : fortement.

homophone : s'applique à une musique dont toutes les voix  obéissent au même rythme simultané.

leitmotiv : motif simple, caractérisé, qui revient comme une sorte de signal.

incise : début d'une phrase.

mélisme : dessin mélodique de plusieurs notes ornant une syllabe.

recto-tono : mode de récitation, lecture d'un texte (religieux le plus souvent) d'une voix monocorde, sans inflexion particulière.

strette : (de strictum= serré), partie finale d'un ensemble où les voix entrent de façon resserrée.

submisse : participe passé de submittere = abaissé, courbé, prosterné (submissa voce = à voix basse).

turba : textuellement « trouble, tumulte, foule ». Terme utilisé dans les Passions et les oratorios pour désigner les passages où le chœur incarne la foule, le peuple.

Parties du texte illustrées par d'autres compositeurs

Pour les plus curieux, quelques compositeurs et œuvres ayant illustré telle ou telle partie du texte de Schütz. Même si la première moisson est riche, la liste n'est pas exhaustive et vous pouvez toujours faire partager vos découvertes en la complétant !

Christus ist mein Leben [13-14] : le texte illustré par Johann Schelle (1648-81), puis par Pachelbel (Partite) et par J.-S. Bach (cantate 95) diffère un peu : Christus, der ist mein Leben. Mais l'ensemble est semblable.

Also hat Gott die Welt geliebt [17-0] : Schütz (Geistliche Chormusik, SWV 380), Buxtehude (cantate BuxWV 1), Rosenmüller, J.-S. Bach (cantate 68, choral, et cantate 174, n°4, duetto).

Die Zeit ist hie zu erbarmen [18-10] : comme texte de choral, illustré par de très nombreux compositeurs de la Réforme, dont Michael Praetorius, et, bien sûr, J.-S. Bach.

Unser Wandel ist im Himmel [24-56]: Schütz (Geistliche Chormusik, SWV 390), J.-S. Bach (motet Anh.165 et cantate 222).

Sein Wort, sein Tauf [30-111]: J.-S. Bach (cantate 165, n°6: choral).

Herr, wenn ich nur dich habe [33-146]: Buxtehude (cantates 6, 7 et aria-chaconne de la 38) ; Rosenmüller (cantate)

Er ist das Heil und selig Licht [34-164]: J.-S. Bach (cantate 125, choral final ; cantate 83, choral final ; mais aussi recours à la mélodie du choral Mit Fried und Freud dans la cantate 95, et aussi dans les chorals BWV382 et 616.

Ach wie elend ist unser Zeit [39-202] : Schein (chœur à 4 v. mixtes), Pachelbel.

Ich weiss, dass mein Erlöser lebt [42-218]: le choral de Johannes Gigas (1566) a été très fréquemment mis en musique. Par Schütz (Geistliche Chormusik, SWV 393), par Teleman (TWV I :877), par Johann Christoph Bach, par Johann Michael Bach, par J.-S. Bach (cantate 160) et par Handel.

Weil du vom Tod erstanden bist [43-242] : JS Bach (cantate 15, choral final, de JohannMichael Bach ; cantate 95, choral final…authentique).

Herr, ich lasse dich nicht [46-261]: JohannChristoph Bach (un magnifique motet), J.-S. Bach (cantate 157).

Herr, wenn ich nur dich habe [52-1]: cf plus haut

Herr, nun lässest du deinen Diener [60-1, Cantique de Siméon] : Buxtehude (cantate BuxWV 22), J.-S. Bach (cantate 83, n° 2, aria, choral et récit.), Mendelssohn (motet op.69 n° 1).

Selig sind die Toten [61-5] : Schütz (motet SWV 391 de la Geistliche Chormusik), Homilius, Schein, Scheidt, J.-S. Bach (cantate 66, n°4, récit.), Graupner, C. P. E. Bach, Mendelssohn (Geistl. Chöre, op 115 n°1) ; Brahms (ein deutsches Requiem, n° 7), Distler…

Ivan Beuvard


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bouquetin

Vendredi 16 Février, 2024 18:15