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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte.

Les œuvres « théoriques » de Johann Sebastian Bach

Johann Sebastian Bach

Faute de mieux, nous retenons ce qualificatif commode pour désigner deux grandes compositions de l'extrème fin de la vie créatrice de Bach, L'Offrande musicale et L'Art de la fugue. Des œuvres qui, à bien des égards, revêtent le caractère d'un testament artistique et dont le haut niveau d'abstraction se trouve en quelque sorte souligné par le fait qu'à quelques exceptions près, le musicien n'en a pas précisé la destination instrumentale.

Autant le dire : hormis la sonate en trio insérée dans L'Offrande musicale, nous avons là des pages qui, pour être d'une grandeur exceptionnelle, ne sauraient être recommandées à des oreilles novices. C'est pourquoi nous ne leur consacrerons ici que quelques lignes, un traitement sans rapport avec l'importance qui est la leur au « patrimoine musical de l'humanité ».

L'Offrande musicale (BWV 1079)

On se souvient que, lorsqu'en mai 1747, il se trouva en visite à la cour de Frédéric II de Prusse, Bach eut à improviser une fugue à trois voix sur un thème que le roi l'avait invité à développer. À son retour à Leipzig, il eut sans doute à cœur de montrer que, dans sa prestation devant le roi, il avait été loin d'épuiser les possibilités offertes par le « thème royal ». Avec une rapidité étonnante, il écrivit donc et fit graver un cycle de variations sur ce même thème et le fit parvenir au roi sous le beau titre d'Offrande musicale.

Outre la sonate en trio déjà évoquée plus haut, qui est pratiquement l'unique partie de l'œuvre dont le musicien ait précisé la nomenclature (flûte, violon et basse continue), cette Offrande est constituée de dix canons et de deux ricercari, dans lesquels Bach traite le fameux thème de toutes les manières imaginables, comme s'il entendait pousser à leur extrême limite les recherches contrapuntiques d'ordre abstrait qui, à l'écart des nouvelles tendances de son temps, passionnaient de plus en plus le vieux maître.

A lui seul, le ricercare à six voix qui conclut l'œuvre suffirait à inscrire celle-ci parmi les plus grands monuments de la musique polyphonique. Mais, dans son ensemble, avec tous ces canons qui empruntent aux traditions les plus anciennes, avec également sa magnifique sonate en trio, l'Offrande musicale apparaît bien « comme l'œuvre d'un maître qui tire les conclusions non seulement des expériences d'une vie, mais d'une époque entière. Elle représente, sous une forme dense et monumentale, la synthèse de la pensée musicale de trois siècles. »110

L'Offrande musicale, (Ricercare à six voix), Ortchestre de chambre de Stuttgart, Direstion Karl Munchinger.

L'Art de la fugue (BWV 1080) 

Plus emblématique encore, cette œuvre que Bach n'eut pas le temps de terminer et dont le titre même est apocryphe apparaît comme le prolongement de L'Offrande musicale. Il s'agit d'un ensemble monumental de vingt fugues sur un même thème principal, toutes en ré mineur, auxquelles le musicien donne chaque fois le titre latin de « contrapunctus ».

« Œuvre intellectuelle ou fruit de la sensibilité du compositeur, chef-d'œuvre de la musique théorique pour les uns, page empreinte d'une haute signification mystique pour d'autres, ce monument génial mais difficile est toujours sujet à amples discussions. Encore entourée de quelques mystères, la genèse de sa conception se révèle peu à peu à nous grâce aux travaux des musicologues. »111  Ainsi, alors que Bach n'a pas précisé à quels instruments il destinait sa partition, et que certains en ont tiré argument pour soutenir qu'elle n'avait pas vocation à être jouée, la démonstration a été faite par la suite qu'elle avait en tout cas été pensée pour le clavecin. Pour autant, à la suite de K. Geiringer, les spécialistes sont nombreux à reconnaître que L'Art de la fugue fait une impression tout aussi forte joué par un quatuor à cordes ou par d'autres ensembles instrumentaux.

Plus que toute autre, cette œuvre est considérée comme le testament musical de Bach et en même temps comme « une des plus grandes créations de l'esprit humain ». K. Geiringer, qui la qualifiait ainsi, y voyait non seulement la quintessence de la maîtrise contrapuntique, mais tout autant « un poème pénétré de mystère et de pure beauté […] et l'adieu d'un génie qui, sur le seuil de l'Eternité, conçoit un art d'un caractère transcendantal. »112

Avec Philippe Beaussant, on pourrait ajouter ceci : « Avec elle se clôt splendidement l'ère de la polyphonie, dont Bach lui-même est comme la conclusion. Quel extraordinaire symbole qu'elle soit inachevée… »113

L'Art de la fugue, Contrapunctus XIV, musica Antiqua Köln.

Notes

110.  Geiringer Karl, Bach et sa famille : sept générations de genies créateurs. Buchet-Chastel, Paris 1955,  p. 327.

111.  De Place Adélaïdce. Dans « Diapason » (410), décembre 1994.

112.  Geiringer Karl, , op. cit., p. 330.

113.  Beaussant Philippe, dans Jean et Brigitte Massin (dir.), « Histoire de lamusique occidentale », Fayard, 2003, p. 512.


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