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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte. II. Le xviie siècle baroque.

La musique instrumentale de Bernardo Pasquini (1637-1710)

Bernardo Pasquini

« Il est mort au faîte de la gloire, dans l'amitié des rois et des princes, sa réputation de virtuose et de pédagogue étendue bien au-delà de l'Italie ; mais son nom parle au musicologue, et guère au mélomane ordinaire, qui peut citer de lui, au mieux, certaine toccata sur le cri du coucou… Voilà d'ailleurs un indice, car s'il revient à la mode, il le devra à ses pièces pour clavecin. Cet amoureux de Palestrina, dont les opéras, oratorios et cantates dérogent rarement aux conventions de l'époque, est d'abord un inventeur, un trouveur instrumental, le plus considérable, en Italie, entre Frescobaldi et Scarlatti. Avec lui, le clavecin se sépare de l'orgue, acquiert sa voix propre et ses prestiges, sert à des mélodies charmeuses, à des rythmes vifs ;  avec lui aussi commence à triompher l'homophonie sur la polyphonie, la verticalité sur l'horizontalité ; le chant domine, l'accord est pesé à sa valeur. Pasquini ne souscrit pas aux durezze de son grand devancier, et parle un langage moins modal que tonal. En un mot, c'est un moderne, résolument gagné à la clarté, à la fluidité, — à l'efficacité. »1

On ne saurait mieux situer un musicien qui, en tant qu'organiste et claveciniste, eut assez de talent pour se faire une immense réputation dans un pays où les genres vocaux et violonistiques tenaient le haut du pavé, une réputation telle qu'elle lui valut aussi de se produire à la cour de France devant Louis xiv et à la cour d'Autriche devant Léopold 1er. Mais c'est dans la Rome pontificale qu'il officia durablement au plus haut niveau comme instrumentiste et comme maître des concerts du prince Borghese, se produisant fréquemment au côté de son ami Corelli.

Certes, et contrairement à ce dernier, il n'eut pas le privilège d'être enterré au Panthéon. Il ne demeura pas non plus au même point un objet de culte pour les diverses générations suivantes. Ce relatif oubli, on ne sait trop s'il faut surtout l'attribuer à sa spécialité de compositeur pour clavier, moins en vogue que d'autres en Italie et fortement « concurrencée » sur d'autres terres, ou au fait que ses pièces instrumentales restèrent manuscrites jusqu'à une époque très récente, ce qui ne pouvait favoriser leur diffusion. Sans doute faut-il aussi observer qu'à la différence de Corelli, Pasquini a beaucoup écrit, y compris et surtout pour la voix, de sorte qu'on ne pouvait décemment attendre de lui qu'il prodigue à ses œuvres instrumentales —  fortes de près de 150 numéros— des soins aussi intenses que ceux accordés par son ami violoniste à sa propre production.

L'œuvre pour clavier

L'essentiel de ce répertoire s'adresse au clavecin, « et ce n'est pas un mince paradoxe — dans la Rome pontificale de la fin du xviie siècle  — que la majorité des œuvres du plus grand organiste du temps ne s'adressent ni aux offices, ni à l'instrument d'église… D'évidence, le disciple du fantasque Cesti, le compagnon d'armes de Corelli a préféré fourbir ses armes dans les salons et se servir du clavecin pour conquérir à la pointe de ses dix doigts l'admiration de l'élite. »2

On trouvera bien dans ce corpus aussi vaste que varié quelques pièces destinées plutôt à l'orgue, telle l'imposante Toccata en ré mineur ou l'impressionnant et très savant Ricercare con fuga in più modi, voire quelques autres pièces contrapuntiques ou encore une certaine Pastorale en sol pour le temps de la Nativité.

Bernardo Pasquini, Pastorale, par Rinaldo Alessandrini.

Mais la plupart des 34 Toccatas (ou Tastatas), à commencer par la pittoresque Toccata con lo scherzo del cucco, semblent faites avant tout pour le clavecin, et c'est encore plus évident pour les 17 Suites de danses, les 4 Passacailles et les 14 séries de Variations ou Partite, parmi lesquelles d'inévitables partite sur le thème de la Follia. Or c'est peut-être dans ces trois genres que Pasquini se montre le plus convaincant et le plus séduisant, que ce soit par sa vivacité, son invention mélodique et rythmique, sa science des tonalités et son art de la modulation, toutes qualités qui annoncent un certain Domenico Scarlatti, et qui éclatent tout particulièrement dans les variations, « de véritables feux d'artifices, où se mèlent traits endiablés et lyrisme exalté. »3

Bernardo Pasquini, Toccata con lo scherzo del cucco.
Bernardo Pasquini, Toccata, Giga, Ricercar, par Rinaldo Alessandrini.
Bernardo Pasquini, Suite, Variazioni, Passacagli.

Restent ses 32 Sonates, dont seulement quatre entièrement réalisées ; les 28 autres, datées de 1704 et réparties en deux lots (14 à un clavier et 14 à deux claviers) ont ceci d'original qu'elles sont proposées sans ligne mélodique, seule la basse, chiffrée ou non, étant notée sur une portée par instrument, de sorte que le compositeur laisse au(x) soliste(s) le soin redoutable d'improviser sur cette trame harmonique. On croit savoir que le propos de Pasquini était ici avant tout pédagogique. On peut aussi supposer qu'en grand improvisateur qu'il était, il se faisait un plaisir de jouer ces œuvres dans les salons les plus huppés de Rome.

Notes

1. GUY SACRE,  La musique de piano , Robert Laffont, 1998,  p. 2085 

2. BRIGITTE FRANCOIS-SAPPEY, dans G. CANTAGREL (dir.), Le guide de la musique d'orgue , Fayard, 2003 , p. 625

3. CORALIE WELCOMME, Répertoire (140), novembre 2000

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