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Claude Charlier, Bach en couleurs.

Une analyse alternative de la dix-huitième fugue (BWV 863/2) du premier Livre du Clavier bien tempéré de Johann Sebastian Bach

Huitième clé
Fugue 18 : BWV 863/2

Analyse traditionnelle

Citations

Donald Tovey: « The remarkable episode 1 (bb. 9-10), with its apparently homo- phonic chords...to suppose that this is an early work or, at all events, a return to an archaic style [...] With all its apparent simplicity [...], this fugue is one of the profoundest in the whole « 48 »... and for the new material of episodes 3 and 4 (bb.21-3 etc.) of its two very important countersubjects »1.

Hermann Keller : « une des fugues les plus libres qui soit dans le CBT [...] Nous sommes en présence du cinquième sujet de fugue qui module à la dominante (voir les sujets en mineur, mi bémol majeur, mi majeur et mi mineur [...] Le sujet est accompagné de deux contre-sujets [...] le second qui n'aura qu'un caractère épisodique, pourrait être considéré comme la tête du sujet [...] en valeurs augmentées [...] Les gracieux divertissements [...] utiliseront le deuxième contre-sujet à la voix médiane [....] Une autre espèce de divertissements exploitera le saut de triton du sujet (mesures 21-25, puis 28-30) [...] Quant à la structure même de la fugue, elle sera de plus en plus souple, après un début assez serré. C'est la seule fugue du Livre I qui se termine en mineur : encore un trait de modernisme »2.

Discussion

Le point commun entre les analyses de Donald Tovey et Hermann Keller réside dans le fait qu'ils sont tous les deux d'accord sur le nombre de contresujets. En outre, les deux théoriciens remarquent deux séquences importantes aux mesures 21 et 28. Donald Tovey les nomme épisodes – basés sur du matériel neuf – et Hermann Keller, divertissements. C'est d'ailleurs un terme qu'apprécie particulièrement l'auteur allemand pour qui cette pièce serait à nouveau une pièce très libre, à tel point qu'il semble attacher plus d'importance à ces épisodes plutôt qu'à la teneur du sujet. Pour lui, la structure de cette fugue s'évanouirait au fur et à mesure que l'on se rapproche de la barre de mesure fnale. Généralement, c'est pourtant toujours l'inverse qui se produit dans les œuvres de Jean-Sébastien Bach.

Donald Tovey considère cette fugue plus sérieusement et insiste avec raison sur une apparente simplicité. Fort trompeuse, me dois-je d'ajouter. Il considère que les répétitions en style homophone indiqueraient que Jean-Sébastian Bach opérerait un retour à un style archaïque. Je dois insister sur ceci lorsque c'est le cas, les valeurs utilisées par le compositeur sont beaucoup plus longues (BWV 849/2, mesures 1-34), ce qui contredirait l'hypothèse de Donald Tovey.

Pour Hermann Keller, ce serait plutôt une œuvre moderne, à cause sans doute des divertissements variés, et en partie à cause de l'accord fnal. Deux contresujets impliquent immédiatement qu'il s'agirait d'une fugue composée au moyen d'un triple contrepoint renversable. Aucun des deux auteurs n'en fait mention. En revanche, ils ne semblent guère avoir envie d'insister sur les séquences nombreuses dans lesquelles la seconde partie du sujet est énoncée seule (mesures 9, 10, 13, 14, 30, 31) et surtout la dernière (mesure 39) qui conclut la fugue. Quoi qu'il en soit, ici encore, pour une petite fugue de 41 mesures il y a quand même beaucoup de monde pour prétendre, derechef, à l'unité thématique.

Analyse polythématique

Fiche technique
Tonalité : Sol dièse mineur
Type d'exposition: A + B + C + D
                                                     + 2 contrepoints

Type de contrepoint : Quadruple renversable
Structure : Permutation des thèmes, séquentielle

Légende des couleurs

Vert: Sujet 1
Rouge : Sujet 2
Bleu: Sujet 3
Orange: Sujet 4
Brun : Contrepoint 5
Gris : Contrepoint simple
Noir : Contrepoint de passage

Commentaire

Il est diffcile de nier qu'ici le sujet est à nouveau structuré en deux parties. Étonnamment, aucune analyse ne semble relever véritablement cette caractéristique. Hermann Keller fait – quand même – une brève allusion, très intéressante, à certains sujets de fugues qui modulent, ce qui pourrait signifer qu'ils se situeraient bizarrement dans deux tonalités. Je pourrais appuyer cette argumentation en défnissant la coloration tonale globale du thème. Si l'on considère ce sujet d'un seul tenant, nous n'arrivons pas à défnir avec clarté la tonalité précise du sujet.

La première partie est dans le ton de sol dièse mineur alors que la seconde est nettement perçue en dièse mineur. Ce n'est pas une exception, nous retrouverons encore cette particularité dans plusieurs autres œuvres. Cette première remarque semble un bon point de départ pour affrmer qu'il ne s'agit pas ici d'un seul thème, mais encore d'une exposition de deux thèmes : ils reçoivent chacun une exposition séparée et ils sont présentés en succession.

La seconde partie du sujet consiste en un premier contresujet. Dans ce cas, nous n'avons plus affaire à un triple contrepoint renversable – ce que personne ne mentionne d'ailleurs – mais bien à une œuvre écrite en quadruple contrepoint renversable comme la fugue n° 12 (BWV 857/2) de ce Premier Livre. Ceci ôte d'emblée la coloration divertissante que l'on pourrait attribuer de prime abord à cette œuvre. Je n'insisterai jamais assez sur le fait qu'il faut considérer plus volontiers, chez Bach, de très petites structures. En voici encore une preuve. Le second contresujet, donc le troisième, si l'on s'en réfère à notre analyse, dont Hermann Keller affrme qu'il n'a qu'un caractère épisodique, est en fait un sujet non rétrogradable (sol, la, si, la, sol) c'est-à-dire un palindrome musical : sa lecture est identique qu'on le lise de droite à gauche ou inversement. Cette technique est utilisée dans le premier sujet de la dernière fugue de L'Art de la fugue. Il semble donc bien diffcile de considérer cet élément comme quantité négligeable : il s'agit bien d'un sujet. Bien sûr, il ne revient pas souvent, et pour cause: plus il y a de sujets, moins ils sont représentés. Bach ici présente encore quatre thèmes en succession: deux thèmes exposés séparément, Bach commence à concevoir le sujet moderne, et encore deux autres sujets en succession toujours englobés dans le contrepoint.

Ce sont à nouveau les différentes combinaisons thématiques qui permettent d'affrmer que la fugue est à quatre sujets. Jean-Sébastien Bach introduit encore un cinquième sujet à la mesure 21. Il est traité séparément, sous forme de séquence, en imitation. Ce n'est pas une surprise, nous trouvons cette même technique dans la dernière fugue du recueil (BWV 869/2, mesures 17, 26 et 65). Ce cinquième sujet est exposé sous forme de séquence séparée car il évite au compositeur de devoir réaliser un quintuple contrepoint renversable. La fin de la fugue consiste en une strette sur le second sujet. Il restait encore quelques petits trous à combler. Bach s'y emploie aux mesures 17 et 18, au soprano où un contrepoint simple vient couronner l'énoncé des deux premiers sujets : cette technique aussi, je l'ai mentionnée dans la fugue 12. Jean Sébastien Bach – ceci tend encore une fois à le prouver – rejette tout ce qui n'est pas thématique. Le contrepoint libre devient inexistant. Il faut encore souligner ici le peu de technique propre aucontrepoint simple : ni augmentation, ni diminution, aucun mouvement contraire, pas de technique canonique significative.

Bach énonce le plus souvent le second sujet seul, et c'est ici le cas à nouveau, l'œuvre se termine par une accumulation d'énoncés du second thème. La doublure des sujets (mesures 35-36) est aussi une technique propre au contrepoint renversable. On peut déduire, de cette œuvre que c'est le second sujet le mieux représenté. La fugue se termine par l'énoncé du second sujet, à la basse, mesure 39. On constate encore que cette œuvre est maintenue dans un carcan contrapuntique très serré. La modernité provient certes de l'accord final mais bien plus du traitement contrapuntique en quadruple contrepoint renversable.

Ce type d'analyse me semble plus proche de la vérité et plus apte à nous introduire dans le contexte rigoureux de L'Art de la fugue qu'une lecture comme celle de Hermann Keller, qui implique une rupture, sinon plusieurs, dans le processus d'écriture du compositeur.

Bibliographie

1. Op. cit., I. pp. 156-157.
2. Op. cit., pp. 112-113.

Prélude et fugue en soldièse mineur BWV 863, en couleurs, avec les analyses de Claude Charlier. Format PDF en très haute définition, 5 €, ou voir ici.

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1.

charlier

2.

Charlier


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Samedi 24 Février, 2024