La musique de chambre n’occupe qu’une place marginale dans l’œuvre de Chopin, et a ceci de particulier qu’à côté du piano (bien sûr), elle fait la part belle au violoncelle. Sans doute le musicien éprouvait-il une attirance pour la voix propre de l’instrument, mais les amitiés ont plus sûrement encore joué leur rôle : des quatre œuvres de chambre qu’il a laissées, les deux premières furent conçues à l’intention du prince Radziwill, un mécène et ami, par ailleurs violoncelliste, qui compta beaucoup dans ses jeunes années à Varsovie, et les deux autres naquirent de la grande amitié qui, dans ses années parisiennes, le lia au grand violoncelliste Auguste Franchomme.
Des années 1828-1829, ce trio pour piano, violon et violoncelle en sol mineur eut droit, en son temps, aux éloges de Schumann, et constitue sans doute une des réussites du jeune Chopin qui, dans ses quatre mouvements, prend déjà ses distances par rapport aux schémas classiques. Certes, le piano y reste très largement maître du jeu, et Chopin lui-même, un peu plus tard, semble avoir regretté d’avoir cantonné le violon dans son registre grave, au point de déclarer qu’il aurait dû lui préférer l’alto. Mais, si cette option concourt à donner à l’œuvre une couleur un peu sombre, cela n’enlève rien à une partition tour à tour dramatique, lyrique, méditative et brillante où l’on trouve nombre de richesses harmoniques et rythmiques annonçant le Chopin de la maturité.
Frédéric Chopin, Trio pour piano et cordes, opus 8, 1. Allegro con fuoco, 2. Scherzo vivace, 3. Adagio sostenuto, 4. Finale allegretto, par le Beaux Arts Trio : Menahem Pressler (piano), Isidore Cohen (violon), Bernard Greenhouse (violoncelle).
De cette Alla Polacca avec violoncelle qu’il écrivit à l’automne de 1829 alors qu’il séjournait chez le prince Radziwill, Chopin écrivit à un ami : « Ce n’est rien de plus qu’une brillante pièce de salon qui convient aux dames ». Certes, ses intentions n’allaient pas beaucoup au-delà, mais ce morceau, qu’il compléta peu après d’une introduction assez originale et qu’il allait finalement dédier à un grand violoncelliste viennois (Joseph Merk), n’est nullement méprisable en son genre.
Frédéric Chopin, Introduction et Polonaise brillante opus 3, par Sol Gabetta et Bertrand Chamayou, 2015.
Musique de salon, évidemment, que ce duo pour piano et violoncelle écrit à Paris entre 1832 et 1833 alors que Chopin venait de se lier d’amitié avec Auguste Franchomme. Avec le concours du célèbre violoncelliste qui, semble-t-il, contribua de façon significative à l’écriture de la partie de violoncelle, Chopin a sacrifié ici à la mode des variations et pots-pourris sur les opéras en vogue, en brodant en l’espèce sur trois thèmes tirés de ce Robert le Diable qui l’avait ébloui à son arrivée à Paris. Mais il l’a fait avec une grâce et une élégance qui n’appartiennent qu’à lui, transcendant ainsi, comme Schumann allait le souligner dans un commentaire élogieux, le style de salon qui faisait fureur à l’époque. Il est d’ailleurs étrange qu’il n’ait pas retenu ce duo dans le catalogue de ses œuvres établi à la fin de sa vie.
Frédéric Chopin, Grand Duo concertant sur des thèmes de Robert le Diable de Meyerbeer, par Sol Gabetta & Bertrand Chamayou, 2015.
Fruit tardif (1845-1846) de cette longue amitié avec Franchomme, la sonate en sol mineur opus 65, dernière composition publiée de son vivant, demanda à Chopin de gros efforts. « De ma sonate avec violoncelle, je suis parfois content, parfois mécontent ; je la jette dans un coin, puis je la reprends… », écrit-il dans une lettre d’octobre 1846, et les nombreuses esquisses qui en ont été conservées témoignent de ces difficultés. « Habitué depuis fort longtemps à n’écrire que pour son instrument, et dans des formes libres, fut-il un temps paralysé en présence de la forme sonate et du duo instrumental ? Peut-être la ligne mélodique du violoncelle qui jaillissait sous sa plume l’obligea-t-elle à changer son écriture pianistique, ce qui lui donne curieusement, en quelques endroits, une allure non Chopin. Mais le mélange des timbres est très réussi, bien plus homogène et original que chez d’autres compositeurs romantiques ; seul Debussy retrouvera plus tard un alliage aussi parfait. »86
Comme pour les sonates pour piano du même Chopin, certains puristes ont pu trouver quelques « défauts de forme » à cette ultime sonate du compositeur, sans relever que ces « anomalies » étaient parfaitement assumées. Car, de son immense et splendide Allegro moderato initial à son brillant Finale en forme de rondo-sonate, en passant par un scherzo très inspiré et un bref largo aux couleurs automnales, on a là une œuvre qui a sa place parmi les plus belles sonates romantiques pour le violoncelle. Non seulement, à l’époque où il l’écrivit, Chopin connaissait désormais parfaitement les ressources de l’instrument et a su le faire chanter avec une noblesse peu commune, mais, de plus, il était alors au zénith de son génie créatif : faut-il rappeler en effet que cette sonate est contemporaine des Nocturnes opus 62, des mazurkas opus 63, de la barcarolleet de la polonaise-fantaisie ?
Frédéric Chopin, Sonate pour violoncelle et piano opus 65, par Truls Mørk & Kathryn Stott, 2006.
86. Ménétrier Jean-Alexandre, dans Tranchefort François-René (dir.), Guide de la musique de chambre , Fayard, Paris 1998, p. 226.
Michel Rusquet
7 novembre 2020
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