Douze études opus 10 ; douze études opus 25 ; trois études sans numéro d'opus.
Autre grand titre de gloire de Chopin, ses deux cahiers d’études ont conquis une place à part, et la plus haute, dans le répertoire de la spécialité, au point de faire figure de « Grand testament » livré aux pianistes pour l’éternité. Camille Bourniquel62, en adoptant cette expression, souligne que « le vrai miracle des études n’est pas de créer une hyperbole de la virtuosité, non plus qu’un échantillonnage chatoyant des traquenards du mécanisme, mais plutôt d’affirmer une transcendance au profit du seul mystère permanent : la musique. » Et de citer tour à tour Vladimir Jankélévitch (« La technique pure accède ici à ce royaume de la délivrance et de la féerie où l’on n’abordera plus désormais sans elle ») et Louis Aguettant (« On ne mesurera jamais exactement ce que Liszt et ses successeurs jusqu’à Debussy et à Ravel doivent aux études de Chopin. D’un coup de génie, le piano moderne était créé et, privilège que d’autres instruments peuvent lui envier, créé par une série de chefs-d’œuvre »). Encore plus remarquable, ce « coup de génie » a été le fait d’un musicien en début de carrière : Chopin a entre dix-neuf et vingt-deux ans lorsqu’il écrit les douze études opus 10, et à peine plus, entre vingt-deux et vingt-six, lorsqu’il livre les douze études opus 25.
En se lançant si jeune dans une telle entreprise, peut-être sous le choc des concerts de Paganini qu’il avait pu entendre à Varsovie, le musicien visait sans aucun doute, après bien d’autres (Czerny, Cramer, Clementi, Moscheles…), à pousser plus loin les limites de la virtuosité, mais surtout, pour lui-même et pour la postérité, fixer les éléments de sa propre technique et de ses découvertes au clavier. « Passion de l’apprenti qui veut savoir jusqu’où va le possible », ses études sont tout entières axées non pas sur la simple recherche des effets virtuoses, mais sur « la découverte d’un langage, d’une écriture tendant à utiliser toutes les ressources de la main, du clavier et de la table d’harmonie »63 Ce faisant, « le premier sans doute après le Bach des Inventions et du Clavier bien tempéré, Chopin démontre que la virtuosité peut faire bon ménage avec l’émotion, avec la poésie ; et même qu’elle en est parfois un composant, non point nécessaire, certes, mais suffisant. Elargissons le mot de Ravel : dans cette musique, non seulement les traits, mais les moindres tours de force digitaux sont inspirés. »64 A l’époque, Liszt et Schumann en eurent parfaitement conscience, mais d’autres eurent le sentiment que Chopin se fourvoyait, ou ne virent là que pur sadisme, à l’exemple de Rellstab qui, dans un article relatif aux études opus 10, écrivait tout bonnement : « Ceux qui ont les doigts tordus pourront les redresser en les travaillant, mais les autres feront bien de ne les jouer que s’ils ont un bon chirurgien à portée de la main » …
62. Bourniquel Camille, Chopin, « Solfèges », Éditions du Seuil, Paris 1960, p. 164.
63. Ibid., p.163.
64. Sacre Guy, La Musique de piano, Robert Laffont, Paris 1998, p. 646.
Voir : introduction ; Piano : polonaises ; mazurkas ; valses ; Scherzos ; impromptus ; nocturnes ; ballades ; préludes ; études ; sonates ; diverses œuvres pour piano ; musique de chambre ; musique concertante.
Michel Rusquet
21 octobre 2020
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Mercredi 25 Mai, 2022 15:53