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Alain Kohler, septembre 2024

De quelques pianos autour de Jane Stirling, élève de Chopin

3. Les débuts de Jane Stirling avec Chopin ; 4. Les pianos de Jane Stirling ; Sommaire

Jane Stirling.Jane Stirling.

Les débuts de Jane Stirling avec Chopin

On ne sait pas exactement quand Jane Stirling devint l’élève de Chopin mais elle rencontre Chopin au plus tard au printemps 1842.

Mlle Stirling et Mlle Maberly écrivent quelques mots d’adieu comme preuve de leur présence chez Chopin, avant son départ pour la campagne. (Samedi, le 30 avril)1.

Il n’y a que deux samedis 30 avril dans la période nous intéressant, en 1842 et 1848. Mais en 1848, Chopin est à Londres et ne part pas à la compagne. Par contre en 1842, George Sand et Chopin quittent Paris pour le Berry au début mai.

Déjà en janvier 1844, Chopin fit à Jane une dédicace des deux nocturnes opus 55 qu’il a composés l’année précédente.

Manuscrit original de l'opus 55 de Frédéric Chopin.

Frédéric Chopin, nocturne opus 55, no 1, par Brigitte Engerer.

Les événements à partir de 1848 et au-delà de la mort de Chopin montrent que Jane a voué un culte immodéré au compositeur et c’est un secret de polichinelle de dire qu’elle a été amoureuse passionnément de son maître avec toutefois la retenue et la discrétion propres à son éducation. Nul ne sait quand a commencé cet amour, mais la charge émotionnelle portée par les romantiques nocturnes de l’opus 55 et par la beauté n’est probablement pas étrangère à une naissance d’un sentiment plus qu’amical.

Il est rare que Chopin parlât de ses élèves nominalement dans sa correspondance. On relèvera qu’en septembre 1846, Chopin mentionne le nom de Jane Stirling :

Si Mme Stirling est à Saint-Germain, ne m’oublie pas auprès d’elle, ainsi que de Mme Erskine2

Ce geste d’attention, peu fréquent chez Chopin, vient probablement d’une grande sollicitude, pour ne pas dire plus, de Jane envers le compositeur.

Mais Frédéric Chopin vivait encore avec George Sand… Jane Stirling a dû prendre son mal en patience. Au printemps 1847, il est de notoriété publique que le couple Sand-Chopin bat de l’aile : la romancière laisse Chopin seul à Paris pendant deux mois d’hiver et son roman Lucrezia Floriani, publié déjà en feuilletons en été 1846 dans le Courier français, fait l’objet de nombreuses critiques :

 … Lucrezia Floriani n’est pas parvenu jusqu’ici à l’exception d’un seul exemplaire que j’ai eu la bêtise de ne pas m’approprier sur le champ. Qu’en pensez-vous ? Y a-t-il succès ? La rupture de Mme Sand avec Chopin est-elle définitive ? Et à quel propos ? Si vous avez des détails, dites-le moi.3

Madame Sand nous livre Chopin avec des détails ignobles de cuisine et avec une froideur qui fait que rien ne la justifie comme sosie.4

Comme élève de Chopin, Jane Stirling est aux premières loges pour récolter ces cancans. Elle a certainement appris que Chopin a subi une grave crise le 2 mai qui a duré trois semaines, crise possiblement liée au fait que le compositeur avait appris la veille que Solange allait se marier à Nohant, sans qu’il puisse donner son avis. Chopin va se reposer « pour se refaire un peu »5 quelques jours à la fin mai chez son ami Thomas Albrecht à Ville d’Avray.

En début juin, Chopin indique à ses parents qu’il a encore des élèves et qu’il n’a pas envie d’aller à Nohant. La rupture entre Chopin et Sand est définitivement consommée le 28 juillet 1847.

Les pianos de Jane Stirling

Avant l’année 1847 il n’y a aucune trace dans les archives de Pleyel et d’Erard à Paris d’un piano acheté par Jane Stirling. En outre le piano à queue Erard no 713, datant de 1841, n’a jamais été sa propriété [voir le chapitre « Le piano Erard à Keir House » ].

Les domiciles de Jane entre 1842 et 1852 sont peu connus mais certainement nombreux. Pour synthétiser, elle habite la plupart du temps à plusieurs adresses dans le voisinage des Champs-Elysées6 pendant les hivers-printemps et partage son temps pendant les périodes estivales et automnales entre Saint-Germain-en-Laye7, Londres et l’Ecosse8.

Ces nombreux remue-ménages font que l’achat d’un piano nécessite alors de le transporter à chaque déplacement, ce qui peut s’avérer contraignant. On peut alors raisonnablement penser que Jane Stirling, pour ses débuts avec Chopin, a plutôt loué un piano. Chopin exigeait presque toujours de ses élèves de jouer sur un piano Pleyel. En 1842, il n’y avait quasiment pas de pianos à queue Pleyel à louer9. Mais les pianos droits ou carrés étaient suffisamment de bonne qualité pour satisfaire et le maître et l’élève. L’hypothèse selon laquelle Jane aurait loué un tel piano ne peut pas être vérifiée car les registres de location chez Pleyel ont été perdus. Il n’est donc pas possible de connaître de quel(s) piano(s) disposa Jane avant 1847.

Le 15 novembre 1847, le registre comptable de 1846/47 (l’année comptable allait du 1er juillet au 30 juin) de la maison Pleyel mentionne l’achat par Mlle Sterling du beau piano à queue petit patron10 en palissandre no 13823.

Jane Stirling.

On croit souvent que Chopin allait choisir directement un piano en stock au magasin pour le proposer à une élève, une connaissance. Cela était certainement vrai pour les pianos droits ou carrés. Cependant les pianos à queue étaient commandés à l’avance dans la plupart des cas : les clients pouvaient indiquer les spécificités qu’ils voulaient et les pianos à queue ne risquaient pas d’encombrer le magasin car, une fois terminés, ils étaient rapidement vendus puisque commandés11. Dans les faits, ils étaient choisis parmi des caisses, y compris leur placage, déjà réalisées à la rue des Récollets : cela permettait au client de ne pas trop attendre, les finitions en ateliers à la rue Rochechouart ne demandant en général que quelques semaines [voir l’annexe I sur la gestion des pianos].

La caisse du no 13823 a été lancée le 27 janvier, la première opération de finition date du 19 juin. Le piano est terminé le 14 août et immédiatement mis au magasin. Cela signifie en principe que Jane Stirling est allée, vraisemblablement avec Chopin, commander son piano au début juin 1847. C’était à ce moment que Sand regagne Nohant sans Chopin. Doit-on y voir déjà là une première tentative de Jane pour mieux plaire à son maître ? Mis au magasin à la mi-août, le piano n’est payé que trois mois plus tard, ce qui est assez inhabituel. Mais cela pourrait s’expliquer par le fait que Jane a commandé son piano juste avant de quitter Paris12 et que ce n’est qu’à son retour en novembre qu’elle a payé ce piano13

Chopin touche une commission de 250 francs. Habituellement, une telle commission, de l’ordre de 10 %, était prise sur le prix de vente du piano mais ici on remarque que Jane a payé le piano 300 francs de plus. Autrement dit, c’est elle qui fait un cadeau à Chopin ! Cela s’est fait sans doute discrètement, en accord avec Pleyel, sans que Chopin le sache.

plume 6 Alain Kohler
septembre 2024
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1. Résumé ; 2. Notes sur Jane Stirling et sa famille ; 3. Les débuts de Jane Stirling avec Chopin ; 4. Les pianos de Jane Stirling ; 5. Le journal de Fanny Erskine ; 6. Le dernier concert à Paris et l’annonce du départ ; 7. Le piano Pleyel du dernier concert à Paris ; 8. Londres et préparatifs pour l’Écosse ; 9. Le piano Broadwood à Calder House ; 10. Thomas Tellefsen ; 11. L’énigme du piano à Glasgow ; 12. Le piano Broadwood à Gargunnock ; 13. Le piano Erard no 713 à Keir House ; 14. Épilogue ; 15. Annexe I, la gestion des pianos par Pleyel ; 16. Annexe II : Le piano Pleyel du dernier concert à Paris

Notes

1. KARLOWICZ, Souvenirs inédits de Frédéric Chopin, traduit par Laure Disière, Paris, H. Welter, 1904, p. 142.

2. Correspondance Frédéric Chopin [CFC], Bronislas Edouard Sydow, Paris, Richard-Masse, 1981, tome III, p. 242. Lettre de Chopin à Auguste Franchomme du 13 septembre 1846.

3. CFC, t. III  p. 261-2, lettre de Franz Liszt à la comtesse d’Agoulzt du 10 février 1847.

4. ALLART de MERITENS Hortense, Lettres inédites à Sainte-Beuve, citées par Léon Séché, p. 261. Lettre du 16 mai 1847.

5.CFC, t. III  p. 286, lettre de Chopin à sa famille du 8 juin 1846.

6. C’est le cas lors de l’hiver 1843-44 où elle réside au 144 des Champs-Elysées, lors de l’hiver 1847-48 où elle habite au 12 bis rue Neuve-de-Berry (actuellement rue du Berri), aux Champs-Elysées février-juin 1849, au 67/69 des Champs-Elysées entre le 12 octobre et 24 novembre 1850, au 12 Avenue Lord Byron lors du printemps 1851, au 3 avenue de Fortunée (maintenant rue Balzac) entre novembre 1851 et début juillet 1852.

7. Selon la correspondance, septembre 1843, septembre 1846, l’été 1849 (depuis au moins le 18 juin jusqu’à fin septembre) et l’été 1851 (depuis au moins le 23 juillet et jusqu’au 4 novembre).

8. En Ecosse l’été 1844, à Londres et à Barnton d’août à mi-octobre 1850, à Barnton au moins décembre 1850 et en été-automne 1852.

9. Seuls trois pianos à queue sont mis en location en 1842, le n° 8906 en avril, le n° 9164 en novembre, le n° 9093 en décembre. Les deux premiers pianos sont fortement suspectés d’avoir été à disposition de Chopin avant d’être loués.

10. Les pianos à queue petit patron sont l’équivalent des pianos demi-queue actuels.

11.L’analyse des mouvements des pianos à queue montrent effectivement qu’ils étaient dans l’immense majorité vendus directement après avoir été terminés, ce qui va bien dans le sens de commandes.

12. Elle a pu résider quelques semaines à Saint-Germain-en-Laye avant de partir en Ecosse. Malheureusement nous ne disposons pas d’information sur ses déplacements en été-automne 1847.

13. Cela étant, on ne peut pas complètement exclure qu’il ait été choisi en novembre parmi quelques pianos à queue possiblement en stock. Le 15 novembre, parmi des jolis pianos à queue petit patron haut de gamme, Jane aurait pu choisir au magasin entre le n° 13823,
le n° 13664 et le n° 13716 dans la mesure où ces deux derniers pianos n’étaient pas déjà réservés (le n° 13716, dans l’essence rare du courbaril, fut vendu à la comtesse Adam Potocka en février 1848).


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Mercredi 4 Septembre, 2024 14:26