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Marseille, 5 juin 2015, par Jean-Luc Vannier ——

La truculence chamarrée de Falstaff clôt en beauté la saison lyrique à l'Opéra de Marseille

FalstaffJean François Lapointe (Ford) et Nicola Alaimo (Falstaff). Photographie © Christian Dresse, 2015.

L'opéra de Marseille offrait avec la première, jeudi 4 juin, du Falstaff de Verdi, le spectacle rêvé pour un directeur d'établissement lyrique : une fin de saison sous les ovations enthousiastes du public. Et aussi deux directeurs d'opéra heureux : d'une part, Maurice Xiberras qui pouvait légitimement s'enorgueillir d'une année marseillaise réussie : un Moïse et Pharaon en novembre 2014 dont nous avions salué la brillance vocale dans cette version de concert, une magnifique production scénique de Tosca en mars 2015 et surtout, un magistral Fliegende Holländer le mois suivant.  Et, d'autre part, Jean-Louis Grinda, le directeur de l'opéra de Monte-Carlo qui signait une mise en scène haute en couleur de cette œuvre de Giuseppe Verdi créée au Teatro della Scala de Milan le 9 février 1893. Assisté de Vanessa D'Ayral de Serignac, entouré de Rudy Sabounghi pour les décors, de Jorge Jara Guarda pour les costumes et de Laurent Castaingt pour les lumières, Jean-Louis Grinda évoque dans sa note d'intention « Falstaff ou la force du rêve », « l'interprétation inépuisable du sens, force des chefs d'œuvre ». Mais loin de dénaturer celui-ci, il en rehausse à la fois la pureté de l'essence et la force du message comme les couleurs de l'aquarelle amplifient les traits du dessin. Son travail mêle sans aucun doute une double inspiration : celle d'un Midsummer Night's Dream qui lui permet de demeurer fidèle à l'auteur originel – Les joyeuses commères de Windsor de William Shakespeare (1564-1616) — et celle de l'influence italienne d'un Carlo Goldoni (1707-1793) qui « fait percer l'homme sous le masque ». Et sous les plumes ! Saluons à ce titre la réalisation du régisseur de production Tristan Gouaillier qui a repris, avec intelligence et méticulosité, le dossier de cette création monégasque sans rien trahir de cet ultime éclat de rire verdien : ce dernier prend congé du théâtre lyrique tout en menant une réflexion lucide — « l'homme retourne au vice et la chatte au lard », un rien désabusée lorsque la « vieillesse de la chair » s'en mêle, sur la farce de la vie.

FalstaffPatrizia Ciofi (Alice Ford) et Nicola Alaimo (Falstaff). Photographie © Christian Dresse, 2015.

Aux commandes de l'orchestre et des chœurs de l'opéra de Marseille en très grande forme, Lawrence Foster qui dirige aussi avec une précision millimétrée les chanteurs sur le plateau, restitue avec une incroyable énergie, la vivacité rythmique de la partition : il s'amusait à nous expliquer, à l'issue de la représentation, « avoir repéré pas moins de 43 staccati et stacatissimi parmi les annotations du compositeur » dont l'écriture interroge, entre le quatuor caquetant des commères du premier acte et la « fugue bouffe » du finale, « les fondements de la métrique dans la musique occidentale ». Il était assisté dans sa direction par Victorien Vanoosten : un jeune chef originaire de Lille, passé par Helsinki et dont nous signalerons, outre le fait qu'il figure parmi les vingt chefs finalistes du prochain concours international des chefs d'orchestre de Besançon, qu'il dirigera à l'opéra de Marseille Le portrait de Manon de Georges Boyer le 3 octobre 2015 et Madame Chrysanthème d'André Messager le 23 mars 2016 dans une version concertante.

FalstaffSabine Devieilhe (Nannetta) et Enea Scala (Fenton). Photographie © Christian Dresse, 2015.

Prestigieuse et de haute volée, la distribution n'a laissé aucune place aux incertitudes. Invité pour la première fois à Marseille, le baryton italien Nicola Alaimo, que nous avions acclamé en Stankar dans un apothéotique Stiffelio sur le Rocher en avril 2013 puis en janvier de cette année même dans un superbe Guillaume Tell « magnifiant la liberté », se promène littéralement dans le rôle-titre. Il nous subjugue tant par ses multiples capacités de puissance et de justesse vocales que par son incroyable exubérance scénique : tantôt pontifiant « si Falstaff maigrissait, ce ne serait plus Falstaff », tantôt frivole et énamouré « quand'éro paggio del duca di Norfolk », tantôt d'une grave lucidité sur le « monde vil et scélérat » après avoir été jeté dans la Tamise, il donne le mot de la fin en prenant le public à témoin : « tous trompés ». Son duo, rare dans les registres opératiques entre deux barytons, avec Jean-François Lapointe, est admirable. Le baryton de la Belle Province, interprète du Pharaon précédemment cité, nous captive quant à lui dans le personnage de Ford, le mari trompé et jaloux, par son grand air « E sogno ? O realita » où il déploie cette amplitude vocale avec une saisissante fulgurance et une netteté sonore tout aristocratique. Formé auprès de Fernando Cordeira à Bologne, le jeune — et très prometteur — ténor Enea Scala né à Raguse campe pour sa part un remarquable Fenton et nous ravit par des accents belcantistes de caractère et élégants dans son « de la lèvre, le chant extasié s'envole » à l'acte III.  Entendu notamment dans un magnifique Il ritorno d'Ulisse in patria à l'opéra de Nice en juin 2013, le ténor Carl Ghazarossian est convaincant dans le rôle du docteur Caïus. Tout comme le ténor Rodolphe Briand, lequel interprétait Sancho Pança dans L'homme de la Mancha à Monaco en décembre 2012,  et qui excelle en pitreries et en mimiques dans celui de Bardolfo. « Pour son premier rôle comique après huit années dévolues aux personnages plus sévères comme, par exemple, Frère Laurent » ainsi qu'il nous le confiait après la performance, la basse belge Patrick Bolleire, remarqué par son interprétation de Melcthal dans le Guillaume Tell déjà mentionné, exulte dans les facéties de Pistola. Il chantera le rôle du fantôme de Nino dans le prochain Semiramide de Rossini en version concertante programmée à Marseille à partir du 18 octobre 2015.

Falstaff Annunziata Vestri (Miss Page), Nadine Weissmann (Mrs-Quickly), Patrizia Ciofi (Alice Ford) et Sabine Devieilhe (Nannetta). Photographie © Christian Dresse, 2015.

Les voix féminines méritent tout autant d'être complimentées. Et, en premier lieu, celle de Sabine Devieilhe dans le personnage de Nannetta : la jeune et talentueuse soprano nous comble de bonheur par une voix dont la subtile fraîcheur le dispute aux aigus luminescents. Celui, empreint d'une retenue toute juvénile et néanmoins stable comme une chanteuse expérimentée qu'elle tient dans la durée à la fin de son air des fées « sul fil d'un soffio etesio », envoûte le public qui l'ovationne lors des saluts. Les deux mezzo-sopranos, Annunziata Vestri et Nadine Weissmann, respectivement Miss Page et Mrs Quickly contribuent vocalement et scéniquement au succès de cette production. Seule ombre au tableau, aussi légère que sa frêle silhouette, la soprano Patrizia Ciofi dont nous avions relevé les aigus parfois voilés dans sa Donna Anna d'un Don Giovanni monégasque en mars 2015, ne semble pas s'être débarrassée de cet infime handicap dans le rôle d'Alice Ford. Sa tessiture connaît manifestement une mutation dans la perspective de laquelle, si elle accepte de l'endosser, elle nous réserve encore de belles et surprenantes envolées lyriques. Cette même distribution se produira d'ailleurs gracieusement le vendredi 12 juin pour un gala caritatif au profit de La Maison de Gardanne qui regroupe et propose, depuis plus de vingt ans, des unités de soins palliatifs pour malades en fin de vie.

FalstaffPatrick Bolleire (Pistola), Carl Ghazarossian (Dr Caïus), Jean-François Lapointe (Ford) et Rodolphe Briand (Bardolfo). Photographie © Christian Dresse, 2015.

Le souvenir de cette soirée autour d'un Falstaff à la fois marseillais et monégasque restera, faudra-t-il le souligner, d'autant plus agréable qu'elle permettait à son issue, ces échanges passionnants autour d'un buffet avec les interprètes. Et d'illustrer combien l'artiste lyrique et toutes les équipes autour de lui doivent consommer d'énergie afin de simplement suggérer, tout comme Shakespeare : « Life is a play told by idiots ».

Marseille, 5 juin 2015
Jean-Luc Vannier

FalstaffFalstaff, 0péra de Marseille. Photographie © Christian Dresse 2015.

Monaco, le 20 février 2015
Jean-Luc Vannier


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