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Actualités musicales

lundi 14 octobre 2013

 

Feuilleton. Le Voyage au Castenet (3), Le départ pour Madrid, de celui qu'on appelle l'Auteur.

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Les fenêtres ouvrent toujours sur de profonds secrets. Personne ne s'intéresserait à un mur aveugle ou à une falaise toute lisse. On peut pertinemment savoir que derrière il y a des pièces, des couloirs, des escaliers, des galeries, des trous et des concrétions, mais cela ne prend de sens que lorsque la façade comporte des fenêtres ou la paroi des ouvertures. Comment l'Occident lettré s'est-il gaussé de la puérilité des anciens Égyptiens qui érigeaient ces masses pyramidales de pierres, et quel revirement se fut lorsqu'on découvrit qu'on pouvait y entrer ; que l'intérieur était aménagé. Dès lors, les mêmes furent convaincus qu'ils touchaient là sans aucun doute l'origine de leur propre civilisation occidentale. Et bien moi, j'étais envoûté par cette fenêtre madrilène. Chacun son truc.

Je fus ainsi la victime d'une distraction inhabituelle : j'épousais Mélisse sans m'en rendre compte ; et je vécus avec elle de la même façon. Mon bon Sivu, je pouvais encore dire mon bon Sivo, s'était envolé vers le pays lointain de sa naissance, sa cousine se rapprocha alors sensiblement de moi. C'est elle qui plus tard me soutint quand, à force de me passionner pour le Prado, je délaissais peu à peu mes études de biologie évolutive. Il fallait que je découvre le côté intérieur de cette fenêtre ! Tous les plans, toute la littérature et toute la poussière d'archives que je dévorais restaient quasiment muets sur la question.

J'exaspérais Mélisse qui méprisait toute activité dont elle ne saisissait pas la finalité pratique à court terme. Elle me faisait sentir ce mépris en se tournant de plus en plus vers ses copains comme elle disait. C'est vrai, ils ne faisaient rien pour rien, avaient des voitures de safari, des maisons de banlieue, passaient les fins de semaine à la montagne à la mer à la campagne, pouvaient fréquenter de bons restaurants, s'habiller cher Burton of London aux Grands Boulevards, parfois plus discrètement à Prisunic. Des choses qui ne sont pas négligeables. Mais ils avaient surtout la grande gueule, la voix forte enrouée enfumée alcoolisée de la socialité de bar du coin, le rire gras et la beuglante cornue, le coup de poing viril sur le zinc comme soulignement du point à la ligne oral.

L'attraction qu'ils exerçaient sur Mélisse était agaçante. À l'heure de l'apéritif, c'est à dire à peu près la moitié de la journée, leur compagnie pouvait être parfois plaisante, j'aurais bien joué quelques parties de pétanque et regardé les sports à la télévision avec eux, si l'occasion m'en avait été donnée. Je ne suis pas de ceux qui en fait d'exotisme, n'apprécient que celui des pays lointains.

Bruno a raison. D'ailleurs, le personnage qu'il est lui donne le droit d'avoir toujours raison. Il ne faut pas écrire un journal intime, une de ces chroniques existentielles qui tiennent aujourd'hui lieu de littérature. Mais je voudrais faire comprendre au lecteur éventuel ce que furent les conditions qui me décidèrent à quitter Mélisse. Je ne voudrais pas qu'il imagine que je suis fantasque, volage, capable d'actes irréfléchis. Il doit savoir que j'étais obnubilé par une fenêtre du Prado, et qu'à la suite de ma rupture avec Mélisse je me suis de nouveau rendu à Madrid.

Quelle était donc cette vie par hasard que je menais avec Mélisse ? Certainement, elle n'était pas grand-chose. Lorsque j'avais des billets pour le théâtre, elle préférait aller au cinéma avec ses copains. Lorsque je voulais voir un film, elle décidait d'en aller voir un autre avec ses copains. Lorsque je voulais déjeuner en compagnie, elle était déjà invitée par ses copains. Lorsque je voulais dîner avec elle, ses copains avaient réservé des places de théâtre. Et le 14 juillet, tout juste après que nous nous soyons rendus au bal de notre quartier, elle allait rejoindre ses copains au quartier voisin. C'était vraiment con, car l'accordéoniste ici, était très bon.

Mais la nuit elle était d'une voracité rémanente. Pardi ! Elle était on ne peut plus excitée par l'avalanche de gauloiseries, de propos salaces, parfois graveleux, dont ses copains, au cours de leur très longue heure apéritive l'abreuvaient. Et cela dura sans désemparer jusqu'au jour ou elle eut un amant. Enfin, c'est ainsi que je comprenais le calme relatif de nos rapports amoureux qui s'installa du jour au lendemain. Nous nous partagions le travail, un inconnu et moi. À cette normalité retrouvée, s'ajouta un événement inattendu : elle accepta de dîner avec moi.

— Tes copains n'ont rien prévu ce soir ?

—— Y'm font un peu chier en ce moment !

— Je te laisse choisir le restau.

Chez Pépito, c'était un minuscule restaurant de quartier et d'habitués, niché dans l'encoignure d'un passage. Nous nous y entassions tant bien que mal. Ce soir-là était encore un soir comme les autres. Tandis qu'à force de contorsions nous gagnions les deux places qui par chance étaient libres, elle repéra de ses copains. Je dus essuyer la honte que suscitèrent les vociférations primitives et les démonstrations bruyantes à en être indécentes. Je ne peux décemment en rendre compte ici.

— Commande pour moi, je reviens dans cinq minutes !

Mélisse bifurqua, redoubla d'efforts pour progresser vers la table de ses copains. Après trois quarts d'heure d'attente, je quittai le restaurant. Rentré à la maison, j'emballai mes effets personnels, ramassai mes livres par petits paquets tenus par un épais ruban adhésif. Je téléphonai à Angéla. Elle m'aida à transporter mes affaires chez elle.

Quelques heures plus tard, j'entrepris de lire une partie des notes que j'avais accumulées au sujet du Prado, mais je ne pus résister au rythme hypnotique du train express qui allait, dans quelques heures me déposer à Madrid. Voilà comment tout a commencé. Le lecteur soupçonnera avec quelque raison que je découvris bientôt le côté intérieur de cette fenêtre. Ce ne fut ni simple, ni facile, ni rapide. En fait, non ! Tout n'avait pas encore commencé.

Muni de mes notes, relevés et plans, d'une minuscule boussole et d'un podomètre de fabrication japonaise, j'arpentais dès le lendemain les couloirs et les salles de l'immense musée. Je me familiarisais ainsi avec les lieux au point de pouvoir parfaitement me représenter au sein de cet espace et me situer non seulement par rapport à l'ensemble ou le détail des enfilades de couloirs, d'escaliers et de salles, mais encore à la ville et aux points cardinaux. Malheureusement, mes allées et venues avaient éveillé l'intérêt des services de sécurité.

Je fus obligé de freiner quelque peu mes investigations, d'enrober mes manières rustiques d'arpenteur par celles, plus appropriées au lieu, d'amateur d'œuvres d'art. Il ne faut pas être devin au village pour se rendre compte que l'amateur d'œuvres d'art est quelqu'un qui passe des heures à s'ennuyer devant un objet. Ce que je fis.

Cet ennui me fut profitable. Peu à peu, les œuvres commencèrent à balbutier. Je discernais des signes qui me semblaient pouvoir revêtir quelque signification. De fait, il ne fallut pas longtemps pour qu'elles se missent à me parler. Franchement. Certains de leurs aspects me devinrent familiers. Parallèlement, je trouvais toujours un élément récurrent original ou peu habituel pour relier une œuvre à l'autre ou faire des comparaisons. Il arrivait également que cet élément, parfois très surprenant, devînt pour moi, d'une œuvre à l'autre un trait classique, voire banal.

Par exemple, je me souviens avoir été surpris par des tableaux qui me semblaient plats et naïfs. Après un certain temps, j'eus la surprise de découvrir qu'ils n'étaient pas plats, mais construits de bas en haut. Puis, quand observer des tableaux construits de bas en haut devint ordinaire, il m'apparut que ces tableaux me semblaient verticaux en la raison qu'ils n'avaient pas de profondeur. Les personnages y étaient représentés plus ou moins grands proportionnellement à leur importance sociale ou religieuse, et non pas disposés selon la règle des points de fuite. Puis, ce fut un choc, j'eus l'impression que tout cela ou bien s'envolait ou bien s'effondrait lorsque je découvris la plus curieuse des peintures qu'il fut donné à voir. Elle était toute en déséquilibre et rondeurs, avec un paysage en profondeur dans lequel s'étalaient côté jardin, justement des jardins et côté cour un vilain château fort qui surveillait on ne sait quelle vallée certainement démoniaque. Au milieu un personnage mythologique qui paraissait avoir fait beaucoup de musculation, était aspiré par toutes les rondeurs, écrasé par la perspective. Il semblait terriblement souffrir des efforts qu'il déployait pour ne pas s'enliser, ou tout simplement pour rester debout. Ainsi, je sortis du Moyen-Âge. La Renaissance devint mon quotidien. Puis un jour, je trébuchai littéralement sur Vélasquez. Par ce manque d'originalité, je sus que j'étais devenu un véritable amateur de peinture. Résolument moderne.

Cette passion nouvelle ne me détourna pas du but, qui, je le rappelle, était de découvrir le côté enfermé de cette énigmatique fenêtre. Bien au contraire ! Le fait d'être entré en peinture avait aiguisé mes sens et dévoilé des possibilités, telle une certaine tactilité du regard. Je suis certain qu'à cette époque, j'étais régulièrement atteint de crises d'hypersensibilité vicariante généralisée.

Les choses de notre vie sont-elles, quelque part, inscrites d'avance ? Enfin, je pense aux grandes choses ! Je suppose, si cela est, que les petits cacas quotidiens sont laissés aux soins immédiats de la nature. Ce n'est pas dire que je crois à la prémonition ou bien que l'on serait doté d'un sens intuitif qui nous permettrait de connaître l'avenir, avec toutes les sornettes alicantes, aliquote et adjacentes. Non ! Je préfère penser à un sens de la prémunition, pour définir cet état particulier où notre corps se prépare à vivre ce qui advient, alors que notre conscience n'est encore que celle de ce qui est advenu.

À suivre...

Le Cirque Plume a trente ans. « Tempus fugit ? Une ballade sur le chemin perdu »

Par Alain Lambert ——

 

Caen le 12 octobre, par Alain Lambert ——

 

Un grand chapiteau de 1000 places en face de la Colline aux oiseaux pour ce premier spectacle de la saison hors les murs du Théâtre de Caen, pour cause de rénovation et modernisation... et un titre en point d'interrogation, « Tempus fugit ? » le temps s'enfuit-il, file-t-il, passe-t-il si vite ? Au point de faire disparaître leur compositeur attitré l'an passé.

Le cirque plumePhotographie © Yves Petit, Cirque Plume.

« Une ballade sur le chemin perdu » y répond en partie, il est possible de revenir en arrière, de retrouver le temps perdu puisqu'on peut reprendre des numéros et des musiques, les faire revivre même différemment.  On peut aussi faire le bilan, positif, de ce qu'on a vécu et comment on l'a vécu, comme le propose dans le programme Bernard Kudlack, le directeur artistique, auteur, metteur en scène et scénographe du Cirque Plume.

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