mercredi 31 août 2016
Ce progamme a été joué samedi 20 août au soir, au Musée des impressionnismes de Giverny, sour le titre générique « La nuit étoilée : Hommage à Henri Dutilleux ».
Conférence scientifique de Carlo de Franchis, « Autour de la nuit »
Carlo de Franchis est mathématicien spécialisé dans l'imagerie de la terre et sa technologie. Il a soutenu une thèse en 2015, sur la correction et la modélisation des images de la terre en trois dimensions prises depuis notamment les satellites Pleiades. Il donne des conférences, publie dans des revues spécialisées, a enseigné dans diverses universités parisiennes et à l'École normale supérieure de Cachan. Il est aussi un pianiste diplômé, ce qui va éclairer sa nuit d'un autre jour.
Joseph Haydn, Quatuor à cordes, opus 76 no 4 (Hoboken III 78) en si♭ majeur, « Sonnenaufgang » (Le lever du soleil », 1. Allegro con spirito, 2. Adagio, 3. Menuet : Allegro, 4. Finale : allegro, ma non troppo. Composé en 1796-1797, dédicacé au comte Erdödy.
Nikita Boriso-Glebsky, Kaja Nowak (violons), Kei Tôjô (alto), Joris Van den Berg (violoncelle)
Joris Van den Berg, Nikita Boriso-Glebsky, Kaja Nowak, Kei Tôjô. Photographie © Jean-Marc Warszawski.
Dans Orfeu negro, le merveilleux film de Marcel Camus de 1959, Orfeu, triste, triste, revenu des Enfers sans son amoureuse, fait lever le jour en jouant de sa guitare. Il sauve le monde, comme la bonne société de l'ancien régime sauvait le monde en se précipitant, à Pâques, aux Offices des ténèbres, où l'on se faisait bien peur avec les Lamentations de Jérémie, avant de rentrer apaisé et fatigué chez soi, la dernière bougie éteinte et le jour levé. Penser que le jour ne puisse poindre a de quoi paniquer. Cette crainte ancestrale a laissé des traces symboliques, il est bien que les compositeurs veillent de loin en loin à la mécanique céleste, qu'ils nous ramènent le jour, après des nuits terrifiantes comme dans la « Gorge aux Loups » du Freischütz de Weber, ou délicates avec les nocturnes de Chopin. Merci donc, Haydn, pour ce lever de soleil, que les ténèbres n'auront pas.
Haydn n'a pas à se plaindre, ni de ses jours ni de ses nuits. Après quelques emplois chez des aristocrates, un temps valet du célèbre compositeur Nicolo Porpora, il est embauché par les princes Esterházy. Quarante années durant il bénéficie de conditions de travail exceptionnelles, il garde même son emploi, et obtient une généreuse pension quand en 1790 les Esterházy congédient leur musique. Son orchestre compte des musiciens parmi les plus réputés, il dispose d'un théâtre à domicile. Mais ce n'est pas sans contraintes quant à la propriété des œuvres (qu'il récupèrera) ou aux possibilités de voyager. On lui attribue, faute d'autres sources, la création du quatuor à cordes, ces compositions à quatre parties pour des ensembles de quatre musiciens.
Après avoir exploré le genre avec 58 œuvres, tout le métier de Haydn se concrétise dans les 6 quatuors de l'opus 76, qui sont 6 chefs-d'œuvre, dominant encore aujourd'hui le répertoire. Selon Bernard Fournier (Histoire du quatuor, I, Fayard, 2000), ce serait, plutôt que l'opus 50, la véritable réponse aux six quatuors que lui dédia Mozart.
Henri Dutilleux, Quatuor à cordes, « Ainsi la Nuit », 1. Nocturne, 2. Miroir d'espace, 3. Litanies, 4. Litanies II, 5. Nocturne, 6. Constellation, 7. Temps suspendu. Composé en 1976-1977, commande de la Fondation Koussevitzky, dédicacé à la mémoire d'Ernest Sussman, créé le 6 janvier 1977, à Paris, au Théâtre de l'Est parisien, par le Quatuor Parrenin.
Aylen Pritchin (violon), Solenne Païdassi (violon), Vladimir Percevic (alto), Michel Strauss (violoncelle).
Vladimir Percevic. Photographie © Jean-Marc Warszawski.
Henri Dutilleux est né à Angers, il y a 100 ans, 6 mois et 29 jours, le 22 janvier 1916, il est mort à Paris le 22 mai 2013. Ses premières compositions datent de 1936-1941, dans la tradition moderniste française établie dans le sillage des Debussy, Fauré ou Ravel. Sa personnalité esthétique de maturité n'y est pas encore affirmée, mais l'habileté et l'assurance sont au rendez-vous. Il obtient le Grand Prix de Rome en 1938.
Il est chef de chant à l'Opéra de Paris, responsable du service des illustrations musicales à la Radio jusqu'en 1963, professeur de composition à l'École normale de Paris.
Affable, discret, mais fort présent, Dutilleux, indifférent aux querelles des anciens et des modernes qui ont fait rage après-guerre, et devenu un personnage universellement respecté et admiré. Une multitude de chefs d'orchestre et de musiciens ont franchi le seuil de l'immeuble qu'il habitait dans l'île Saint-Louis à Paris avec respect. Peu de compositeurs furent joués de leur vivant comme il le fut.
Son style se précise dès après-guerre, avec par exemple les six petites pièces pour piano, et ne cessera d'évoluer. Une écriture en courts modules ciselés, qui n'est pas sans rappeler la technique de Stravinsky dans le Sacre du printemps, liberté de forme, le plaisir du son, des rythmes fluides et libres, à la grâce plus poétique que métriques, et le goût de la résonance harmonique hors tonalité. On aime à ce sujet évoquer un arrière-grand-père, Constant Dutilleux, peintre ami de Delacroix et de Corot qui lui auraient transmis l'art des couleurs. On peut rêver, c'est la nuit. Ici, cet art est soutenu par un jeu tout en nuances de jeux pizzicati et à l'archet, harmoniques, variations d'effets sur une seule note, différents jeux au chevalet, accélérations de gruppettos, trémolos, glissandos. Cette œuvre est divisée en 7 mouvements, séparés par des « parenthèses », mais elle se joue d'un seul trait. Tous ces petits détails de joaillerie imbriqués sont les éclats d'un souffle poétique unique.
Arnold Schönberg, La nuit transfigurée, opus 4, pour sextuor à cordes, composé en 1899, sur un poème de Richard Dehmet extrait de La Femme et le monde (Weib und Welt). Créée à Vienne le 18 mars 1902.
Nikita Boriso-Glebsky, Solenne Païdassi (violons), Vladimir Percevic, Kei Tôjô (altos), Michel Strauss, Anastasia Feruleva (violoncelles)
Michel Strauss, Vladimir Percevic, Solenne Païdassi, Nikita Boriso-Glebsky, Kei Tôjô, Anastasia Feruleva. Photographie © Jean-Marc Warszawski.
On évoque rarement le poème (une interprétation du Songe de Joseph) de Richard Dehmel (le livre dont il est extrait fit scandale à sa parution) : un couple marche dans une forêt froide et lugubre. La femme se lamente, elle est enceinte d'un autre homme. Vivant tristement, elle souhaitait éprouver les joies de la maternité, elle s'est donné à un étranger, en a même été heureuse, mais quel péché ! Quelle faute ! L'homme la rassure, elle mettra l'enfant au monde pour lui. « La clarté brillante de l'univers répand son éclat, tu flottes avec moi sur la froide mer, et pourtant une chaleur singulière passe en vibrant de toi en moi, de moi en toi. Elle transfigurera l'enfant étranger, tu le mettras pour moi, par moi au monde… Deux êtres traversent le cœur de la nuit lumineuse. »
Un an avant Schönberg, Oskar Fried (1871-1941), a réalisé une très belle scène lyrique, pour orchestre et deux chanteurs, sur ce poème de Dehmel.
La nuit transfigurée de Schönberg, œuvre magnifique, au pathos épais, d'une sensualité envahissante, angoissée, annonce l'expressionnisme. Elle serait fort bien adaptée aux offices de ténèbres, malgré sa clarté théorique.
18 août ; 19 août ; 20 août après-midi ; 20 août au soir ; 21 août ; 24 août ; 25 août ; 26 août ; 27 août après-midi ; 27 août au soir ; 28 août ; article.
(Le démocrate Vernonnais) Musique de chambre : quel avenir pour le festival ?
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Vendredi 2 Septembre, 2016 1:39
