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Le manuscrit du Puy : L'office du nouvel an à la cathédrale du Puy-en-Velay du XIIe au XVIe siècle

Le manuscrit du Puy. L'office du nouvel an à la cathédrale du Puy-en-Velay. XIIe-XVIe siècle. Ensemble Gilles Binchois sous la direction de Dominique Vellard. Disque Virgin VC 7 59238 (1992)

Extrait du livret Par Wulf Arlt ( traduit par Willem de Waal)

Acquérir un livre longtemps désiré ! Posséder un document laborieusement cherché ! C'est le comble du bonheur rêvé par les bibliophiles. Ce bonheur est le nôtre, car un exemplaire du [...] Prosolaire [un livre de poésie liturgique] de Notre-Dame du Puy est maintenant en notre possession.

L'enthousiasme avec lequel l'abbé Payrard commentait, en 1885, "sa" découverte est aisément compréhensible. Il tenait entre les mains un recueil exceptionnel, provenant de la cathédrale du Puy, qui attestait que, dès le Moyen Age, la liturgie ancienne y avait été enrichie de nouveaux chants, d'une grande valeur artistique, pour célébrer la fête du Nouvel An. Peu de temps après, la publication de ces textes révéla qu'un office propre avait été célébré dans cette cathédrale du Massif Central, située sur le cours supérieur de la Loire. Malheureusement le manuscrit disparut à nouveau.

Il réapparut récemment de manière inespérée, ainsi qu'un autre manuscrit, plus tardif, contenant le même office. Le deuxième manuscrit comprend en outre un grand nombre de polyphonies assez simples, et même des compositions à quatre voix, élaborées à partir de mélodies plus anciennes par les clercs du XVIe siècle. Ce n'est qu'au Puy que se trouve réuni dans une même source un ensemble de pièces d'époques aussi différentes. Cela découle de la tradition spécifique de la cathédrale, mais atteste aussi la fascinante élaboration artistique que l'office divine pu connaître au cours des siècles, surtout en ce qui concerne la musique. Au vieux fonds des chants des sources les plus anciennes, on a ajouté des poésies et des chants datant du Haut Moyen Age, et enfin des polyphonies de la Renaissance.

Il était d'usage au Moyen Age de réserver un jour précis, dans le temps de Noël, à la fête des clercs de chaque rang : les pueri, qui sont les plus jeunes, les diacres, sous-diacres et enfin les prêtres. Ils rassemblaient toutes leurs ressources artistiques pour enrichir le service divin et le repas que l'on prenait en commun, en ajoutant de nouvelles processions. Des livres d'office ont été faits pour ces occasions aux XIIe et XIIIe siècles. L'office du Nouvel An du Puy s'inscrit dans cette tradition.

La fête se greffe sur la liturgie habituelle, qui s'étend des vêpres de la vigile jusqu'au soir de la fête, englobant ainsi toutes les heures liturgiques du jour. Les chanoines célébraient cette fête tous ensemble, sans interruption, pendant plus de vingt-quatre heures. Toutcomme les moines dans les abbayes, ils se réunissaient toutes les trois heures dans le choeur de l'église, pour chanter des psalmodies, des prières, des lectures et autres chants et, bien sûr, pour célébrer la messe. Ils faisaient des processions devant les impressionnantes fresques et les tableaux qui ornent le vaste édifice dressé au sommet de la ville. Les danses des pueri achevaient la fête.

La fête de Noël, comme toutes les fêtes solennelles, était encore célébrée le jour de l'octave, qui justement tombe le jour de l'An. C'est pourquoi le thème principal des textes, tant anciens que nouveaux, du manuscrit est le miracle de Noël, l'avènement du Roi des rois qui apparaît dans sa puissance. Avec le Sauveur on célébrait aussi au Moyen Age, Marie, Mère de Dieu. Le ton d'allégresse qui jaillit de cet office est celui de la fête de Noël, mais aussi de ce début d'année. Les clercs saluent l'An nouveau en invitant le grand chantre à accomplir sa mission (plage 5 du disque).

L'enregistrement commence par un chant qui introduit immédiatement au monde musical particulier à l'office du Puy. La voix principale en était déjà notée aux environs de 1100. L'arrangement à quatre voix que nous entendons ici date du XVI" siècle. Nous suivons ensuite l'ordre de la première partie du livre, qui comprend d'abord les vêpres (2-13), puis d'autres moments de la célébration (14-24). Le disque s'achève sur un choix de chants d'uneexceptionnelle qualité tirés des autres parties de l'office (25-27).

Le vieux fonds des chants monophoniques des vêpres laisse s'exprimer une tradition liturgique d'avant le Moyen Age. Leurs textes proviennent avant tout des psaumes et des autres livres de la Bible (2, 6, 7, I1). Le psaume et le Magnificat fournissent des exemples de psalmodie dans laquelle alternent les deux parties du choeur ; ils sont tous les deux en-cadrés par des antiennes. Appartiennent aussi au vieux fonds l'hymne ambrosienne (9) et l'oraison finale (12). A ces chants s'ajoutent la bénédiction par le prêtre avant la lecture (7), et la réponse chantée (8). L'office se prolonge avec le petit verset provenant du psaume 97, 3 (10) et se termine sur un traitement poétique du chant de reconnaissance "Benedicamus domino" (13) et de sa réponse "Deo gratias".

Les vêpres du Puy enrichissent encore d'autres chants : une entrée solennelle extraite de l'imposant office de Matines (3), l'hymne pour le jour de l'An, écrit au VIe siècle par Venance Fortunat (4), l'invitation au chantre déjà mentionnée, composée vers 1100 (5), et la réponse à la lecture, dans le style des chants nouveaux du XIe siècle, façonnée par Fulbert de Chartres en hexamètres ingénieux (8).

Les chants monophoniques de ces vêpres témoignent d'une grande diversité, dans l'alternance des participants — prêtre, lecteurs, chantre, solistes et choeur — et surtout dans leurs différentes formes musicales : certains textes sont chantés sur un seul ton, d'autres d'après des modèles de récitation ornée de formules spécifiques au début, au milieu et à la fin des phrases, enfin des mélodies proprement dites. Cet éventail est élargi grâce aux différentes ressources de la polyphonie, et surtout l'alternance de parties monophoniques et polyphoniques dans une même pièce. Outre les arrangements, par accords à quatre voix, de chants monophoniques (3 et 9), on rencontre des pièces dans lesquelles une seconde voix est ajoutée selon des procédés simples qui re-montent à une pratique musicale non écrite très ancienne (5). Le chant final est une polyphonie formée par l'ajout d'un mélisme au-dessus d'une note tenue, pratique qui n'avait pas même besoin d'être notée (13).

La diversité est encore plus grande dans les autres parties de la célébration. Après la de-mande de bénédiction à l'évêque et sa réponse (14), un chant de procession (conduit) nous accompagne du choeur de l'église jusqu'à la salle du chapitre (15). Là, après une nouvelle bénédiction, et à la place de la lecture, on chante un farsumen, alternance de phrases récitées et chantées, procédé bien connu au temps des cathédrales (16). Dans le cas présent, il s'agit d'une pièce du XIe siècle finissant, qui s'inspire du prologue de l'Evangile selon saint Jean (16). Puis un conduit accompagne la procession pour le repas pris au réfectoire (17).

Une nouvelle cérémonie y prend place, composée d'une lecture (18) et d'un farsurnen (19). Après avoir bu la coupe cérémonielle, on chante le psaume 50, avec une antienne (20). En revenant à l'église, le choeur se divise dans le cloître et entonne un Kyrie à quatre voix, qui date probablement de la fin du Moyen Age (21). Une fois rentrés au choeur, les chanoines chantent une acclamation polyphonique (22), un petit verset suivi d'une oraison (23) et, pour terminer, un dernier Benedicamus (24).

C'est dans cette partie du manuscrit que l'on trouve surtout les nouveaux chants qui enrichissent la liturgie au tournant des XI' et XII" siècles. Cet art strophique fait pendant aux premières chansons d'amour courtois européennes, et utilise le vers et la rime dans une étonnante multiplicité de formes tant poétiques que musicales, chaque poème ayant sa mélodie propre. Les diverses formes de chanson en Europe trouvent ici leurs origines. Ces nouvelles mélodies se chantaient dans l'église, comme conduits, ou à la place du Benedicamus et même, dans cette cathédrale du Massif central, en farsunien.

L'enregistrement s'achève avec trois des plus belles pièces issues des autres parties de l'office : deux polyphonies du XVL siècle, aux sonorités pleines et pures (25 et 27), et entre elles un conduit, exemple d'une des formes les plus développées de la monodie liturgique du Haut Moyen Age. La division en strophes s'yunit à la structure répétitive, plus ancienne, de la séquence (26). Cet agencement rend possible l'élaboration d'une mélodie ample et libre. C'est un des aspects les plus impressionnants de ces nouveaux chants du XII' siècle, qui pourtant disparaîtra avec le développement de nouveaux moyens d'expression musicale, et de nouvelles formes. Les manuscrits du Puy sont les seuls à nous restituer cette pièce, qui par sa forme montre que l'origine de l'office se situe à l'époque même de l'éclosion de cet art.

La cathédrale du Puy est située sur une des routes de pèlerinage menant à Saint-Jacques de Compostelle. Dès la fin du Moyen Age cependant, la ville se trouve à l'écart des lieux où se déroulent les événements décisifs de l'histoire. La construction particulière de cette église, constamment renouvelée, avec ses fresques du XI° au XIIP'siècles, fait pendant au développement continuel de la liturgie attesté parce livre. Mais dans la musique de cet office s'imbriquent, en une unité fascinante – presque mieux encore que ne le font les éléments d'architecture dans l'édifice –, des mélodies liturgiques anciennes, des chants nouveaux du Moyen Age, des monodies transformées en polymélodies par l'ajout d'une seconde voix, selon une pratique orale simple, et enfin des polyphonies caractéristiques des compositions musicales ultérieures.

Contenu du disque

Vêpres

Autres moments de la célébration

Choix d'autres chants


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Samedi 23 Avril, 2022